samedi 3 septembre 2011

Rick Bass, les derniers grizzlys

Chers Amis du Potager,


La protection des espèces menacées est aujourd’hui devenu un enjeu d’ampleur mondiale, mais tous les animaux à sauver ne sont pas tous aussi mignons, ni pacifistes, que le panda, emblème du WWF. Certains ont mauvaise réputation, et ont longtemps été chassés, pour leur viande, leur fourrure, une pseudo-régulation des populations ou même simplement pour le plaisir.

Le problème, c’est qu’à force de tirer dans tous les coins, on en vient à ne plus savoir si une espèce est éteinte ou non. C’est le cas du grizzly du Colorado, dont l’habitat se situe dans les montagnes de San Juan. Et que les seules preuves admissibles pour prouver sa survie sont des cadavres. Avec la conclusion logique qui s’impose : « bon, ben, maintenant que vous avez tué le dernier, on considère que l’espèce est éteinte ».

Absurde.

Rick Bass, géologue de formation, entraîné par son ami Doug Peacock (qui a servi de modèle au George W. Hayduck du Gang de la Clef à molette), se lance donc dans des expéditions dans les San Juan pour tenter de découvrir les traces du grizzly, sans avoir pour cela besoin de le dégommer au fusil à lunette, après avoir simplement entendu le récit d’hommes qui ont vu l’homme qui a vu (ou cru voir) un grizzly.

Et tout est bon pour ces aventuriers d’un genre nouveau : touffes de poils, griffades sur les troncs des pins de Douglas, empreintes majestueuses (plus larges que celles du commun ours noir), crottes attestant contenant les débris de la si belle fourrure dorée de ces derniers géants.

La course à la bouse, véridique, pourrait ne pas suffire à faire un livre. Mais c’est sans compter le talent de Rick Bass, qui nous décrit minutieusement les trois expéditions successives qui ont tendu à démontrer la survie des grizzlys des San Juan.

Dans une nature à la beauté mouvante mais émouvante, au gré des colères de Doug face aux déprédations des chasseurs et des campeurs, au gré des rencontres humaines et animales, au gré des saisons, se déroule le récit authentique d’une quête quasi mystique, qui replace l’homme (au sens biologique et écologique) dans une perspective plus large.

Parce qu’au-delà du caractère documentaire de l’ouvrage, émaillé d’extraits d’œuvres de références sur les ours, Rick Bass développe son approche (et celle de ses camarades) de la protection de la nature, dans laquelle l’homme doit disparaître. Même les colliers émetteurs sont critiqués, car leur présence est susceptible d’entraver la vraie vie des ours qui les portent.

Ce qui ne gâche rien, le texte est magnifique, écrit d’une plume sensible et précise.

C’est aussi un véritable récit d’aventures, aux allures d’enquête policière. Les hommes et les femmes dont le portrait nous est donné, qui consentent à vivre dans ses conditions parfois précaires, dans un camp de base venteux et presque inaccessible, pour ramasser ingratement des crottes dont ils espèrent qu’elles démontreront la survie des grizzlys, forcent l’admiration.

Et puis il y a la rencontre, fortuite, éphémère et magique :
 « Un grand sapin abattu par le vent est couché par terre, à mi-chemin entre les biches effrayées et moi. Elles ne sont plus qu’à une trentaine de pas. Quand je suis à dix pas du sapin – auquel, accaparé par les biches, je n’ai pas vraiment prêté attention –, je vois surgir de derrière le tronc un animal, une grosse bête brune aux épaules voûtées qui semble apparaître sous mon nez. Un ours avec une tête énorme, et l’espace d’une fraction de seconde, nos regards se croisent. Les yeux ronds et sombres de l’ours jettent une lueur sauvage, les miens doivent être aussi grands, peut-être même plus. L’animal a un pelage couleur chocolat, comme un élan, et il est presque aussi gros. Il est tellement immense que la première pensée qui me vient à l’esprit, juste avant la peur, est : cet ours est aussi gros qu’un élan ! ».
 C’est une histoire vraie. C’est pour cela qu’elle est si belle.

Si, dans votre enfance, vous avez un jour serré un ours en peluche dans vos bras, il est temps de vous intéresser aux ours gros comme des élans qui hantent encore les forêts du Colorado.

Mademoiselle Potiron

Les derniers grizzlys (the Lost Grizzlies), par Rick BASS, Gallmeister collection Totem, 259 pages, 9,20 euros

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