dimanche 26 juin 2011

Pierre Bayard, L'Affaire du chien des Baskerville

Chers Amis du Potager, 

Pierre Bayard avait déjà repris les conclusions d'Hercule Poirot, sur le meurtre de Roger Ackroyd, pour dynamiter le raisonnement du petit Belge. Madame Groseille vous l'avait présenté (c'est là : qui a tué Roger Ackroyd).

Pierre Bayard récidive, donc, en reprenant le raisonnement de Sherlock Holmes dans l'affaire qui fit sa réputation, celle du Chien des Baskerville. Et force est de constater que le point de vue de Pierre s'éloigne franchement de celui de Sherlock. 

Il dispose pour cela d'un atout important, l'étude des relations complexes que Sherlock entretenait avec son créateur Conan Doyle, leur lutte intestine et perpétuelle, qui fit que Sherlock échappa à son maître.

C'est extrêmement intéressant, tant du point de vue purement policier, que du point de vue intellectuel, dans le "détricotage" de toute la mythologie liée au raisonnement holmesien. Pierre Bayard développe également une thèse fort séduisante, sur les rapports que les personnages de fiction nouent avec les êtres vivants de la réalité, et leurs influences mutuelles, à travers ce qu'il appelle "les émigrants du texte" et les "émigrés du texte".

Un court essai, dense dans son contenu, mais léger dans sa forme, que je conseille vivement (à condition d'avoir lu au préalable le Chien des Baskerville, l'original, bien sûr).

Mademoiselle Potiron

L'Affaire du Chien des Baskerville, par Pierre BAYARD, Minuit 190 pages, 8 euros

Edward Abbey, le Gang de la Clef à Molette

Chers Amis du Potager, 

Un roman préfacé par Robert Redford. Préface intelligente, digne hommage à son ami Edward Abbey, à mille lieues des blurbs qui se pressent habituellement en foule sur les couvertures des romans américains, et commencent d'envahir la littérature locale (mais, si, vous savez, ces affirmations dithyrambiques - et pour la plupart trompeuses - rédigées par des critiques égocentriques).

Je doute que le Gang aurait apprécié une telle publicité. Déjà parce que Doc Sarvis, un des 4 membres, a commencé sa carrière d'éco-terroriste en déboulonnant les panneaux publicitaires gâtant le paysage le long des routes.

Alors qu'est-ce que ce gang ?

4 membres : George W. Hayduck (béret vert sociopathe trapu et hirsute, sorte de mini-grizzli sur-armé), le docteur A.K. Sarvis (riche médecin d'Albuquerque aux mains délicates), Joseph Fielding "Seldom Seen" Smith (un mormon avec trois épouses, guide de rivière) et Bonnie Abbzug (Juive du Bronx retirée à Albuquerque où elle vit dans une bulle, hippie et assistante du Doc).

Leur objectif ? mettre des bâtons dans les roues des industriels de tout poil qui défigurent le grand ouest américain : constructeurs d'autoroutes, de ponts, de barrages, destructeurs de forêts et de rivières, exploitants de mines de charbon ou d'uranium.

Et ça déménage sérieusement, à grands coups de clefs à molette, de marteaux, et parfois de dynamite. La joyeuse équipe y va franchement, toujours enthousiaste, sautant sur la moindre occasion (surtout Hayduck), avec humour et détermination, dans la déprédation comme dans la fuite, écrasée sous le soleil brûlant du grand désert que se partagent l'Utah et l'Arizona, dans une nature superbe mais aride. 

Un roman qui commence dans une immense explosion, et finit avec un clin d'oeil. 

Un roman qui mérite que l'on se penche sur la suite : le retour du gang de la clef à molette.

Mademoiselle Potiron

Le Gang de la Clef à Molette (the Monkey Wrench Gang), par Edward ABBEY, Gallmeister Noire, 486 pages, 24,50 euros.

Craig Johnson, Little Bird

Chers Amis du Potager,

Faut-il encore présenter Craig Johnson, et son héros, le shérif Walt Longmire ? Découvert dans ce premier roman, Walt n'a peut-être pas la jeunesse bondissante et musclée de Dahlgren Wallace ou de Stoney Calhoun, mais, dans un genre plus mûr, Walt dégage malgré tout un charme certain.

Shérif du comté d'Absaroka dans le Wyoming, veuf, dans la force de l'âge, Walt sait y faire avec les dames, que ce soit sa secrétaire, son adjointe ou la patronne du restaurant local. Incarnant la force tranquille, il attend paisiblement la retraite, pour bien rigoler avec son pote cheyenne, le hiératique Henry Standing Bear.

Comme toujours, rien ne se passe comme prévu, quand Cody Pritchard est retrouvé assassiné. Or, Cody Pritchard n'est pas un inconnu pour les habitants du comté : deux ans auparavant, avec trois autres ados, il a violé la jeune Melissa Little Bird, crime qui ne s'est traduit que par une peine de deux ans avec sursis, qui a fâché beaucoup de monde.

Les suspects ne manquent pas, et Walt s'engage dans l'enquête en soupirant. Une très bonne enquête, qui doit beaucoup au talent de conteur de Craig Johnson. L'ambiance locale est parfaitement rendue, avec ses événements (le Jour des Crêpes), ses personnages hors du commun, la beauté de ses grands espaces, ses blizzards terribles. Et l'élégance de la plume de Johnson.

Ce roman réussit à marier le polar noir de qualité, le guide touristique enthousiasmant, l'étude ethnologique, tout en vous faisant craquer pour la personnalité attachante de Walt (et son numéro de duettiste avec Henry). Et c'est très drôle (vous ne considérerai jamais plus les travaux électriques du même oeil).

Une merveille.

Mademoiselle Potiron

Little Bird, par Craig JOHNSON, Gallmeister Totem, 422 pages d'enchantement, 10 euros (largement mérités)

Jim Tenuto, la Rivière de Sang

Chers Amis du Potager, 

Je vous avais prévenus : le pêcheur à la mouche est un sexy man. Et, après Stoney Calhoun, Gallmeister récidive avec Dahlgren Wallace.

Après avoir mené une première carrière comme joueur de football américain, ruinée par une blessure, puis comme soldat au cours de la guerre du Golfe, notre héros se fait engager comme guide de pêche par Fred Lather, un milliardaire qui a racheté une bonne partie du Montana pour y élever des bisons (à la plus grande joie des locaux, pour qui un bon bison est un bison mort).

Fred apprécie de faire de bonnes affaires, et pour cela, brosse ses clients et partenaires potentiels en les frottant dans le sens du poil, et en les envoyant passer une superbe journée de pêche, entre les mains expertes de Dahlgren.

Le problème, c'est qu'un client de Dahlgren, le mormon Elden Elderberry, est retrouvé mort dans un bras de rivière, alors qu'il pêchait sous la surveillance de Dahlgren, et que ce n'est pas une mort naturelle. Naturellement suspecté par le FBI, Dahlgren trouve du soutien auprès du shérif local Horace Twain (goguenard), Sy Schwartzwald (propriétaire de la meilleure gargote locale, Juif sagace et pénétrant) et Tatum O'Neill (le barman du seul troquet du coin, où les cowboys viennent se soûler la tronche le samedi soir).

Parce que les problèmes se succèdent, que les suspects potentiels sont légions (entre les néonazis, les écolos, les propriétaires jaloux du ranch de Fred), et que les bisons tombent comme des mouches (grosses mouches, certes...), Wallace a fort à faire. 

Avec un humour corrosif, Dahlgren nous conte ses (mes)aventures, mène son enquête avec intelligence et sexytude, malgré les coups de ses adversaires (dans tous les sens du terme : coups durs, coups vaches, coups de poing, coup de gnôle...). 

Je vous conseille vivement d'acheter votre carte de pêche, votre canne, vos nymphes, et d'aller patauger gaiement dans les riantes rivières du Montana, en compagnie du sieur Wallace.

Mademoiselle Potiron

La Rivière de Sang (Blood Atonement), par Jim TENUTO, Gallmeister Totem, 322 pages, 9,40 euros (qui les valent bien)

Mark Sundeen, Le Making Of de "Toro"

Chers Amis du Potager,

Quand mon Gentil Libraire m'a parlé, avec enthousiasme, de Toro, j'avoue avoir fait la grimace. La tauromachie ? Suis pas fan... Vraiment pas... (la Nectarine en est témoin).

Sauf que.

Le Making of de "Toro " est sous-titré "corridas et coeurs brisés, ou le périple d'un auteur en quête de louanges méritées". Déjà, ça situe une oeuvre. 

Le narrateur, fauché comme les blés, auteur du très remarqué La fauconnerie en s'amusant (12 exemplaires vendus, à vue de nez), accepte donc l'avance de son éditeur pour écrire un livre sur la tauromachie en Espagne. Mais comme l'avance a essentiellement servi à régler ses dettes, notre ami doit se rabattre sur le Mexique. Olé. 

Il s'invente donc un avatar - grotesque - , le fougueux Travis LaFrance, brillant, séducteur, sûr de lui, captivant, pour enquêter sur le milieu des corridas mexicaines. Très documenté sur la question, il voit en chacun de ses interlocuteurs un aficionado cultivé et passionné. Sauf qu'en réalité, Travis n'est qu'un boulet, incarnation de Jean-Claude Dusse, couard, maladroit. Et que les corridas mexicaines s'apparentent davantage à une boucherie ridicule, animées par des fantoches pas doués affrontant des vachettes anémiées. Et que les aficionados sont des sacs à vin roublards et beuglants.

Le récit alterne entre la réalité vécue par le narrateur, et la transformation lyrique qu'en fait Travis dans son roman "Toro". Et c'est ma foi réussi.

La comparaison avec Hemingway est évoquée (l'honnêteté nous pousse à dire que ce n'est guère à l'avantage de Travis), mais la dérision, l'humour involontaire du narrateur font de ce récit un très bon roman, qui porte un critique de la tauromachie sous couvert d'une apologie ratée.

Gentil Libraire avec donc raison. Une fois de plus. Youpi.

Mademoiselle Potiron

Le Making of de "Toro "  (The Making of Toro) par Mark SUNDEEN, Gallmeister Americana 190 pages, 21,90 euros

William G. Tapply, Dérive Sanglante

Chers Amis du Potager,

Le héros de Tapply, Stoney Calhoun, est amnésique et sourd d'une oreille. Sorti de l'hôpital avec une grosse somme en poche, sans qu'il connaisse les raisons de son accident, ni les raisons de cette manne, Stoney n'a qu'une idée en tête : aller dans le Maine, dont il ne se souvient pas, mais dont il pressent que c'est sa maison.

Il s'y construit une cabane au fond des bois au bord d'un ruisseau, se fait engager par Kate, la propriétaire du magasin de pêche, comme vendeur et guide de pêche, adopte un gentil chien-chien nommé Ralph.

Un beau matin, un client se pointe. Stoney n'a pas envie de jouer les nounous pour ce vieux beau de Floride, qui rêve de taquiner la truite, et l'adresse à son jeune collègue, Lyle McMahan. On appelle ça refiler le bébé.

Seulement voilà, Lyle ne rentre pas de sa partie de pêche. Kate est inquiète, Stoney culpabilise. Il part donc à la recherche de son ami, de son client, d'un indice.

Parce que Stoney, tout amnésique qu'il est, est loin d'être idiot. Et il a des réflexes qui suggèrent une vie antérieure mouvementée.

Premier volet de la série mettant en scène ce charmant pêcheur (les éditions Gallmeister ont fait de la pêche à la mouche un vivier de beaux mecs sexys et torturés), Dérive Sanglante allie une intrigue bien fichue à une ambiance bucolique et forestière. Le Maine, c'est la campagne, où tout le monde connaît tout le monde. Stoney et Kate forment un couple atypique mais séduisant, le style est vif, agréable, drôle (à certains moments), haletant (à d'autres).

M'en vais commander les autres volumes, moi...

Mademoiselle Potiron

Dérive Sanglante (Bitch Creek), par William G. TAPPLY, Gallmeister Noire, 268 pages, 22,90 euros bien mérités.

samedi 25 juin 2011

Paul Cleave, Un employé modèle

Chers Amis du Potager,

Fans de Dexter (et des kiwis), ce roman néo-zélandais est pour vous.

Le narrateur, Joe Middleton, est en charge de l'entretien au commissariat de Christchurch. Un employé modèle, que tous les policiers aiment bien. Il faut dire que Joe affiche un QI de palourde et adore rendre service. Il subit une mère un peu timbrée, et franchement imbuvable, qui le harcèle au téléphone. Sa seule consolation, il la trouve en Cornichon et Jéhovah, ses poissons rouges.

Sauf qu'en guise de hobby, Joe, qui est bien plus intelligent qu'il ne s'ingénie à le faire croire, est le boucher de Christchurch, serial killer sanguinaire, ayant 7 meurtres à son actif. Meurtres sur lesquels la police locale patauge allègrement.

Tout aurait pu continuer ainsi pendant longtemps, sauf que Joe s'avise que la police a attribué au Boucher le meurtre d'une femme que Joe sait de source sûre (et pour cause) ne pas avoir été tuée par le boucher.

Joe décide donc de mener sa petite enquête pour déterminer l'identité de son "copycat", et essayer de lui faire endosser la responsabilité des autres meurtres. Il se retrouve vite handicapé par Sally, autre employée de service au commissariat, au physique plutôt ingrat. Sally culpabilise, suite au décès de son petit frère, déficient mental. Elle reporte donc son affection étouffante (et fort chrétienne) sur Joe, qu'elle gave de sandwiches, et se met en tête de vouloir défendre contre le monde entier.

Difficile, avec un tel boulet (gentil boulet, mais boulet quand même), de mener l'enquête et de continuer à trucider de temps en temps quelques jeunes femmes.

Ajouter un chat accidenté, et vous obtiendrez un roman très bien fait, drôle et cynique, rigoureux et fantasque. Rien ne se passe comme prévu, et pourtant Joe reste obstinément fixé sur son but.

424 pages, ça peut paraître long, mais avec Joe, ça passe tout seul. On s'attache à ce meurtrier qui chouchoute ses poissons rouges, on a envie de trucider sa mère. Un style accrocheur, une intrigue bien ficelée en font un roman formidable, à conseiller.

Mademoiselle Potiron (qui aime les All Blacks)

Un employé modèle (the Cleaner), par Paul CLEAVE, Sonatine 424 pages, 22 euros

Dan Wells, Je ne suis pas un serial killer

Chers Amis du Potager,

Je ne suis pas un serial killer.

Affirmation péremptoire, à laquelle John Wayne Cleaver ne croit pas trop. Fasciné par les tueurs en série, adorant préparer les corps dans la morgue familiale, adorant les bonnes flambées, le jeune John est un ado persuadé que son destin est de finir serial killer. Perspective qui ne l'enchante pas spécialement. Alors John se soumet à un code personnel destiné à lui épargner cet avenir trouble : ne pas s'intéresser aux scènes de crime, ne pas observer ses contemporains, n'être qu'amour.

Ce plan aurait pu suffire, sauf que la petite ville où vit John se retrouve la proie d'un authentique serial killer, qui prélève des organes sur ses victimes.

Notre Johnny, spécialiste du sujet, se décide donc à enfreindre quelques unes de ses règles pour découvrir qui terrorise son patelin. Evidemment, qui mieux que lui, sociopathe en puissance, pour comprendre et appréhender un autre sociopathe ?

Idée de base alléchante, n'est-ce  pas ?

Sauf que les choses ne sont pas forcément ce qu'elles paraissent.

Sans vouloir déflorer le sujet, l'identité du tueur est assez rapidement déterminée. Au temps pour l'enquête. S'en suit une traque sans relâche, pas inintéressante, mais assez parasitée, à mon sens, pas la nature propre du tueur. Et ce qui aurait pu être un thriller haletant se transforme vite en roman pour ados. Un très bon roman pour ados, mais un roman pour ados quand même.

Rien de désagréable et bien écrit, John le cinglé est attachant. Narrateur lucide sur sa condition et bourré d'humour (parfois humour noir), il cumule les difficultés d'expression propres aux jeunes de son âge à une sociopathie médicalement constatée, ce qui donne lieu à des situations cocasses et des dialogues savoureux, tout en luttant contre sa propre propension à la violence. Mais comment traquer le tueur sans laisser libre cours à la bête qui est en lui ?

Cela dit, ce roman cède un peu à la facilité (après un départ sur les chapeaux de roue), et pêche par un angélisme un peu trop guimauve. Parce que passer du sanglant à la guimauve, ça m'énerve.

Mademoiselle Potiron (frustrée)

Je ne suis pas un serial killer (I am not a serial killer - ça, c'est de la traduction), par Dan WELLS, Sonatine 270 pages, 18 euros.

jeudi 2 juin 2011

Chi Li, Préméditation

Chers Amis du Potager,

Mademoiselle Chi est une romancière chinoise qui gagne à être connue. D'abord parce que son écriture est bien rythmée, pleine d'humour. Ensuite parce que sa prise de position est intéressante.

Dans la Chine communiste, il n'est pas forcément de bon ton de railler les pauvres pour mettre en valeur les bourgeois, mais c'est pourtant le parti pris par la demoiselle.

Wang Liegou est l'héritier d'une lignée autrefois riche et puissante, aujourd'hui ruinée. Parallèlement, la famille de Ding Zongwang a su profiter de l'évolution de la société pour se développer et prendre la place de la famille Wang. Wang Liegou rumine donc sa colère (largement entretenue par sa grand-mère), laquelle s'amplifie lorsque Ding Zongwang épouse la très belle jeune femme qui Wang convoitait, alors que ce dernier doit se contenter d'une épouse au visage grêlé. 

Ce contentieux est le point de départ de toutes les (nombreuses) tentatives de se venger de Ding, Wang ne reculant devant aucune traîtrise, aucune bassesse, aucun subterfuge, pendant que le bourgeois Ding affronte les épreuves avec une dignité et une bonté étonnantes. 

On en peut s'empêcher de trouver à Wang Liegou un petit côté Joe Dalton trépignant et rageur, qui réjouit d'autant que le bonhomme fait preuve d'une persévérance dans la vengeance qui laisse songeur. 

Mademoiselle Potiron

Préméditation (Yumou sharen), par CHI Li, Babel 135 pages hilarantes, 6,50 euros

Sôkyû Genyû, Au-delà des terres infinies

Chers Amis du Potager,

Un court récit, absolument charmant, qui fera pendant à Neige, de Maxence Fermine, lequel Neige m'avait passablement agacé.

L'auteur n'est pas moine zen pour rien, et la qualité d'Au-delà des terres infinies a été officiellement couronnée par le prix Akutagawa.

Sokudô et son épouse Keiko sont en charge d'un temps, perdu dans les montagnes. Leur voisine, Madame Ume, médium de son état, a prédit sa propre mort, une première fois démentie par l'acharnement médical. Le jeune couple attend donc la survenue du second jour fatidique annoncé par la médium pour son trépas. L'attente fait resurgir des souvenirs, met en relief certaines habitudes, certains comportements, dans une nature magnifiée et apaisante. 

Cet ouvrage dégage, au-delà de la grande poésie de son texte, une sérénité, une banalité (au sens noble) bienfaisante et au-delà des clichés, qui faisaient cruellement défaut au caricatural Neige. Le zen est quelque chose qui se vit, pas quelque chose qui se réfléchit.

C'est aussi la relation de l'amour qui unit Sokudô et Keiko, silencieux mais profond, discret mais respectueux. Et ça fait un bien fou.

Chaudement recommandé, donc.

Mademoiselle Potiron

Au-delà des Terres infinies (Chuin no Hana), par GENYÛ Sôkyû, Picquier Poche, 160 pages, 6 euros

Dennis Lehane, Un dernier verre avant la guerre

Chers Amis du Potager, 

Sur les conseils de Gentil-Libraire, me voici initiée à la plume de Dennis Lehane, par le biais du premier roman où il met en scène son couple de détectives privés, Kenzie et Gennaro.

Engagés par le sénateur Mulkern, leur mission est a priori fort simple : retrouver une femme de ménage, Jenna, qui a disparu en emportant des documents qui ne lui appartenaient pas. Seulement voilà, rien n'est simple, tout d'abord parce que Jenna est noire, et que dans un Boston où la tension raciale est omniprésente, où les gangs sont à l'affût du moindre prétexte pour s'affronter dans une guerre sanglante, il est difficile pour notre duo de ne pas se heurter à un certain communautarisme. 

Sans trop en dire, c'est un très bon roman, à l'intrigue bien construite. Patrick Kenzie, le narrateur, n'est pas sans reproche, mais son humour et son auto-dérision apportent un légèreté bienvenue à l'ensemble. Parce que le contexte est dur, violent, que ça tire dans tous les coins, que la drogue circule plus vite que son ombre et que les maris tabassent gentiment leurs femmes pendant que les pères font pire encore à leurs enfants.

Si vous aimez, comme moi, les ambiances corrosives, Dennis Lehane est pour vous. N'hésitez pas. Ses autres romans sont dans ma LAL, en attendant de les faire entrer dans ma PAL (qui je réduis peu à peu, suis-je héroïque...)

Mademoiselle Potiron

Un dernier verre avant la guerre (A drink before the war), par Dennis LEHANE, Rivages/Noir, 344 pages, 9 euros

Penguin's Mini Modern Classics # 3

Chers Amis du Potager,

Le Pingouin est de retour, avec deux nouveaux volumes de sa mini-collection de nouvelles à petit prix.

Tout d'abord, pour les amateurs de frisson et de fantastique, Canon Alberic's Scrap-book, de M.R. James. Au travers de 4 nouvelles, c'est tout le charme du roman hanté victorien qui ressurgit, dans une langue d'autant plus magnifique qu'elle est la base de toute l'angoisse, de toute la tension qui traverse ces courts récits : un tableau dont le dessin varie dans le temps, laissant deviner un drame dont on ne peut qu'être spectateur ; une paisible roseraie où les siestes produisent d'étranges cauchemars ; les stalles d'une cathédrale ornées d'étranges sculptures taillées dans le bois d'un chêne aux pendus ; un livre dissimulant un démon. Avec beaucoup d'élégance, James nous entraîne dans son monde effrayant mais absolument captivant. Un livre à dévorer.

Vladimir Nabokov est l'auteur d'une bibliographie monumentale, et son oeuvre ne saurait se réduire à la sulfureuse Lolita. Pour preuve, les trois courtes nouvelles réunies par le Pingouin. Terra Incognita, qui donne son nom au recueil, nous conte l'effondrement d'un homme en pleine jungle, sous un soleil de plomb, abandonné par ses porteurs, alors qu'une fièvre tropicale le terrasse d'hallucinations. A moins que tout ne soit que faux semblant. Etonnant. Spring in Fialta, c'est l'éternelle rencontre manquée entre Victor, le narrateur, et Nina, qu'il ne cesse de croiser, sans jamais parvenir à la saisir. The Doorbell signe les retrouvailles manquées d'un fils et de sa mère, après des années d'exil. De très beaux textes, écrits dans une langue précise et acérée, propre à ceux qui n'écrivent pas dans leur langue maternelle.

Miss Pumpkin

Canon Alberic's Scrap-book, par MR James, Penguin, 87 pages, 3,90 €
Terra Incognita, par Vladimir Nabokov, Penguin, 69 pages, 3,90 €