Chers Amis du Potager,
Dans ce court récit, rédigé à la première personne, Sōseki nous présente un peintre tokyoïte, cherchant désespérément à échapper à la vulgarité quotidienne, et qui choisit donc de s’isoler dans une station thermale désertée pour laisser libre cours à son art, sans le voir polluer par la trivialité.
Sur le chemin qui le conduit à la station thermale, il est contraint par la pluie à s’arrêter dans une maison de thé, dont la vieille propriétaire lui conte les histoires locales. Parmi elles, celle d’une beauté de l’ancien temps, courtisée par deux hommes, et qui finit par se suicider en se jetant dans un étang. Et celle de la fille de l’actuel propriétaire de l’auberge, Nami, où se rend notre peintre, courtisée par deux hommes, mariée à celui qu’elle n’aimait pas pour des considérations matérielles, et divorcée suite à la ruine de cet époux. Aujourd’hui, elle est retournée vivre chez son père, et les commérages vont bon train sur son compte (le plus courant étant que la pauvre n’a plus toute sa tête).
A l’auberge, le peintre rencontrera cette belle femme mystérieuse et fantasque, qui deviendra l’objet de son obsession picturale. En effet, elle mériterait, par sa beauté particulière, d’avoir son portrait réalisé, mais pour cela il manque un je-ne-sais-quoi à sa beauté, pour en faire une parfaite Ophélie (le roman se déroule en 1904-1905, à l’époque où les préraphaélites font fureur en peinture occidentale). Le reste de l’histoire va se résumer à découvrir ce qui peut bien manquer au visage de cette femme et à chercher à le saisir avec le pinceau.
Si cela peut paraître assez sommaire comme idée de base, c’est l’occasion pour Sōseki de laisser son talent de paysagiste agir avec bonheur.
Ses descriptions de la campagne entourant la station thermale, la poésie qui se dégage des fleurs rouges du camélia tombant une à une dans les eaux du lac du Miroir, le bruissement des feuilles de bambou, les mouvements du kimono de cérémonie de Nami, l’iridescence de la vapeur dans la salle de bain, le moelleux de la mousse sous le pied nu, le goût du thé, la beauté d’une pâtisserie ou d’un tapis chinois, la poule et le coq endormis dans la maison de thé, la rusticité du barbier,… tout est prétexte à une musique délicate de l’écriture, à une réflexion sur l’art, la peinture, le détachement, avec des pointes d’humour subtiles lorsque le comique de la vulgarité fait irruption dans ce monde de l’oubli de soi.
Sōseki n’oublie pas non plus qu’il est un grand poète, et les réflexions du narrateur sont l’occasion pour lui de rédiger quelques haïkus ou poèmes chinois, qui apportent du relief à la narration assez compacte. De la même façon, les courts dialogues bien rythmés allègent l’ensemble.
Le fil rouge est constitué par les rencontres avec Nami, parfois impromptues, parfois cocasses, parfois oniriques.
C’est une lecture très agréable, très rassérénante (si vous voulez des explosions, des extra-terrestres et des psychopathes sanguinaires qui zigouillent à longueur de page, passez votre chemin), sur la nostalgie, la tranquillité et l’abandon.
Mademoiselle Potiron
Oreiller d’herbes, par Natsume Sōseki, Rivages Poche, 169 pages (de petits caractères), 7,50 euros.
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