samedi 18 février 2012

Herman Bang, les Quatre diables

Chers Amis du Potager,

Herman Bang est un auteur danois. Ce n’est déjà pas si courant. Il présente en outre la particularité, pressenti pour le prix Nobel de littérature 1911, de l’avoir refusé pour s’en estimer indigne. On atteint l’exceptionnel (les refus sont généralement politiques). A part ça ? Auteur oublié, malgré quelques adaptations cinématographiques de ses romans, Herman Bang fait aujourd’hui l’objet d’une réédition aux éditions Phébus (qui prouvent par là qu’on a toujours raison de creuser dans les greniers de la littérature).

D’autant que, pour favoriser cette redécouverte, les éditions Phébus ont choisi de publier la nouvelle les Quatre Diables dans sa collection de poche Libretto.

Ces quatre diables, qui sont-ils ? Deux sœurs d’abord, Aimée et Louise, et deux frères ensuite, Fritz et Adolphe. Alors que les deux fillettes jouaient les écuyères dans un cirque, la grand-mère des garçons les y a vendus contre monnaie sonnante et trébuchante.

Après des débuts comme acrobates, la faillite du cirque les oblige à se spécialiser dans un art spécifique, en l’occurrence le trapèze, que Fritz et Aimée maîtrisent avec de plus en plus d’aisance, avant d’être rejoints par Adolphe et Louise.

Commence alors une carrière applaudie, les garçons en justaucorps blanc et les filles en justaucorps noir virevoltant à trente mètres du sol, en des figures compliquées, graphiques, où les mains se rejoignent et les corps se mêlent, sous les cris enthousiastes du public et les commentaires des artistes en loge.

Ce ballet aérien, très graphique, l’harmonie régnant entre les quatre jeunes gens, paisible et asexuée, sont soudain remis en cause par Fritz, qui surprend dans les gradins les yeux d’une jeune femme posés sur lui.

L’irruption de l’amour, de la jalousie, de la haine, de la douleur, au sein de ces quatre-là, pourtant unis comme les doigts de la main (et bien forcés de l’être, le trapèze exige la confiance absolue entre partenaires), va créer deux paires distinctes : Fritz et Aimée, qui voltigent ensemble, et se sont devinés l’un l’autre, et Adolphe et Louise, inconscients du drame qui se joue, mais qui constatent que l’atmosphère du spectacle à changer, sans s’en expliquer la cause.

On passe donc du quatuor au double duo. La tension devient palpable, oppressante, douloureuse.

Le style de Herman Bang est particulièrement ciselé, efficace, tendu lui aussi vers sa conclusion. Les courts dialogues incisifs qui émaillent son texte ajoutent un rythme bienvenu qui accroît encore le rythme implacable de la narration.

Cette brève nouvelle est donc bien une petite pépite, un chef d’œuvre condensé, qui révèle tout le talent de conteur désabusé de Herman Bang. C’est une excellente introduction à son œuvre, d’ailleurs, qui permet de se faire rapidement une idée de son art.

Avant peut-être de poursuivre l’aventure par la lecture de Mikaël, un de ses plus grands romans, également publié chez Phébus.

Mademoiselle Potiron

Les Quatre diables, par Herman BANG, Phébus Libretto, 113 pages, 7,60 euros

Jirô Taniguchi, Furari


Chers Amis du Potager,

Encore un peu de bande dessinée (promis, c’est bientôt fini) avec un manga de très grande qualité, réalisé par un maître en la matière.

Le héros, dont le nom nous est tu, vit à Edo (le Tōkyō d’avant l’ère Meiji) avec sa jeune femme Eï et leur chat. Scientifique retraité, il consacre ses loisirs à la géographie et à l’astronomie. Plus particulièrement, il aimerait pouvoir calculer précisément la longueur d’un méridien.

Pour cela, il a réglé la longueur son pas de façon à ce qu’il fasse exactement 70 centimètres et, comptant ses pas d’un endroit à l’autre de la ville, il en mesure les distances.

Chacune de ces promenades est l’occasion pour lui de s’ouvrir à ses contemporains, à l’éphémère beauté de la nature ou à l’immuable contemplation du Fujisan. Chaque rêverie l’emporte dans son quartier, jusqu’à le survoler sur le dos d’un faucon.

On suit également certaines de ses activités plus ludiques, comme un pique-nique sous les cerisiers, une pêche aux crustacés à marée basse, le rapetassage de ses sandales. Ces promenades sont également l’occasion de belles rencontres, comme celle d’Issa, le fameux poète, qui échangera quelques vers avec notre héros.

La belle Eï, compagne du promeneur géographe, éclaire régulièrement les planches de sa personnalité solaire. Si elle a eu à souffrir des absences professionnelles de son mari, il n’y a aucune aigreur chez cette femme instruite, intelligente et drôle. Eï sait prendre ses propres décisions, et l’harmonie enjouée qui règne au sein de son couple fait de Furari une très belle histoire d’amour où chacun a su trouver sa place pour s’épanouir. On est loin de l’image de fragile poupée véhiculée par les premiers occidentaux à avoir fouler le sol japonais hors du comptoir de Yokohama.

Outre son thème, poétique et paisible, Furari est également un ouvrage à part dans l’imagerie collective du manga, par l’extrême beauté de ses dessins, dans lesquels on retrouve l’inspiration bienvenue du maître de l’estampe Hiroshige.

Chaque vignette, richement illustrée, fourmille d’éléments de la vie quotidienne d’Edo, des jeux des enfants aux marchants ambulants, des délicates geishas aux matous errant sur les toits. Les vues panoramiques sont particulièrement soignées, et rappellent sans peine les Cent Vues d’Edo d’Hiroshige (notamment la vue du ciel avec le faucon et les renards « flamme » d’Inari). Le chatoiement des couleurs se devine aisément, malgré le seul noir et blanc du crayon.

Si vous aimez la culture japonaise et les dessins d’artiste, je ne peux que vous recommander de vous perdre dans la contemplation des planches réalisées par Taniguchi. Vous passerez un excellent moment, qui vous laissera apaisé et ému. Et par les temps qui courent, cela n’a pas de prix. 

Mademoiselle Potiron

Furari, par Jirô TANIGUCHI, Casterman écritures, 211 pages, 16 euros

Kenneth Cook, l'Ivresse du kangourou


Chers Amis du Potager,

Après un post sur les histoires d’amour (ahem), reprenons le cours normal de ce blog, en évoquant un recueil de nouvelles à l’humour potache qui ravira les amateurs du genre.

Kenneth Cook, génial conteur australien, s’est forgé une réputation, entre autres, par la publication de la trilogie du Koala tueur, qui comprend le Koala tueur (c’est logique), la Revanche du Wombat et, donc, l’Ivresse du Kangourou.

Comme le titre le laisse supposer, le tout se passe dans l’outback australien, du bush bien connu des amateurs de Crocodile Dundee au désert bien connu des amateurs des Frères Koala.

La faune locale (humaine et animale) s’avère particulièrement exotique, avec ses parieurs acharnés, dont les règles sont très strictes, avec un pilote herpétophobe qui panique en plein vol, se réfugie derrière un siège quand un bande de lézards à collerette s’échappe dans l’avion et refuse en sanglotant de reprendre les commandes, avec un homme payé grassement pour NE PAS jouer au cricket, avec ses aborigènes sans âge, aux noms imprononçables, qui font preuve de dons particuliers.

On y retrouvera également Mary Anne, la zoologue du Koala tueur, cette fois aux prises avec une autruche (mâle) qui entreprend de l’occire car notre rondouillarde scientifique lui a volé un œuf sous prétexte de comparaison œuf d’autruche, œuf d’émeu.

On y retrouve surtout le sens de l’humour de Kenneth Cook, son amour de la bonne chère et des bonnes bouteilles (mises à rafraîchir dans le sable du désert), son incroyable capacité à se mettre dans le pétrin et ses amis farfelus.

Parce que Kenneth Cook, terrassé par une crise cardiaque en 1987, était un excellent conteur, doublé d’un chouette copain, incapable de dire non et toujours prêt à partir à l’aventure (même s’il n’est pas très aventureux) si cela peut donner lieu à un bon article. Et doté d’un certain talent pour l’autodérision.

Certains trouveront sans doute que cela ne mérite pas le prix Nobel. Peut-être pas. Mais les histoires du bush de Kenneth Cook ont un parfum d’exotisme, d’aventure épique et picaresque. On y retrouve tout le flegme rigolard des Australiens, leur amour de la bière et leur capacité à ne s’étonner de rien. Et l’on sent que l’auteur, finalement, les aime bien, ces ahuris brûlés par le désert et ses farfelus attachants.

Les femmes, pour y être rares, n’en sont pas moins des personnages à poigne, qu’il s’agisse de Mary Anne, de la parieuse de bras fer, de la japonaise dans l’avion envahi par les lézards ou de l’athlétique Guinevere, que Kenneth admire tout en les craignant un peu.

Ces historiettes sans prétention remplissent un autre critère pour en faire un très bon bouquin : elles sont drôles. Vraiment. Tout le talent de Kenneth réside dans cet art de faire hurler de rire même dans les situations tragiques, sans jamais être déplacé ni vulgaire.

Elles ont en outre le mérite de présenter de manière quasi exhaustive la faune australienne.

Après un léger coup de mou dans la Revanche du Wombat, l’Ivresse du Kangourou renoue avec la verve du Koala tueur.

Mademoiselle Potiron

L'Ivresse du Kangourou (Frill-necked frenzy), par Kenneth COOK, éditions Autrement Littérature, 213 pages, 17 euros

La revanche d'une nectarine # 2


Chers Amis du Potager,

Voici quelques temps déjà, Vivi la Nectarine m’avait taguée gentiment en me demandant quelles étaient pour moi les 5 plus beaux romans d’amour. Tout un programme.

Ceux qui me connaissent bien savent que la romance n’est pas ma tasse de thé. A la rigueur, je veux bien en lire de temps en temps, pour rigoler et faire tout plein de commentaires désobligeants. Les vertus antistress du roman niaiseux sont largement sous exploitées, croyez-moi. Et même avec ça, il faut qu’il y ait autre chose derrière, ne serait-ce qu’une intrigue policière et beaucoup d’humour. Quoique le policier ne suffisent pas toujours, hein, parce Mary Higgins Clark, c’est niaiseux et, policièrement parlant, c’est plat.

Même quand l’auteur est bon, la romance me donne des crampes. A titre d’exemple, j’ai toujours préféré the Taming of the Shrew à Romeo and Juliet. Sont-ils pas nigauds, ces deux abrutis, à jouer au vrai-faux suicidé ? Franchement, un plan pareil, c’était sûr que ça allait partir en sucette, mais bon, faut croire que l’amour rend idiot. Et je n’aime pas les andouilles (même de Guémené).

Du coup, trouver des romans d’amour dans ma bibliothèque, c’est ardu. En creusant un peu, j’ai malgré tout réussi à dénicher quelques exceptions à la règle de la niaiserie. Voilà le résultat de mes investigations :

Rebecca, de Daphné Du Maurier. Parce que même sans se toucher, se parler, se regarder, l’amour entre la narratrice et Maxim est palpable. Je n’aime pas les pââââssions dévorantes, qui n’ont d’autre intérêt que leur sensualisme racoleur ou leurs héroïnes hystériques. J’aime les amours fortes, puissantes, silencieuses et implacables. La relation de la narratrice et de Maxim est simple, franche, elle s’épanouit face à l’adversité, sans vulgarité ni excentricité. J’aime les amours sereines et réconfortantes comme une tasse de thé avec des scones, prise au coin du feu, quand il pleut dehors. J’aime les amours qui sentent le tweed. Mon côté old school.

Furari, de Jirō Taniguchi (qui aura bientôt son propre post). Ici aussi, pas de débauche sentimentale trépidante. Le héros a consacré sa vie à la science géographique, délaissant parfois Eï, sa jeune épouse, pendant de longues périodes pour se consacrer à ses travaux. La retraite venue, on lui accorde un laisser-passé pour Hokkaido, afin d’établir la mesure du méridien. Alors qu’il annonce gauchement cette nouvelle séparation à Ei, celle-ci propose spontanément de l’accompagner, avec un sourire d’enfant malicieux. Aucune notion de sacrifice, seulement le plaisir d’être ensemble, qui émaille tout ce délicieux roman graphique. J’aime les amours qui prouvent que le quotidien ne signifie pas nécessairement la ruine du couple. Mon côté optimiste.

Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand. Pour le coup, un classique. Avec humour et panache pour ne rien gâcher. Et je ne parle pas de l’amour de Christian et Roxane, mais de celui de Cyrano pour sa belle cousine. Un amour d’autant plus beau que notre nasal héros sait qu’il n’aura pas de suite. Et parce que la scène du couvent est une des plus belles de la littérature française. Même si ce n’est pas un roman, c’est pour moi plus sensible que bien des romans soi-disant d’amour. J’aime les amours qui finissent mal. Mon côté Rita Mitsouko.

Mort d’un silence, de Clémence Boulouque. Là encore, pas de roman d’amour à proprement parler, mais le récit terrible de la chute d’un homme, Gilles Boulouque, le papa de Clémence, juge antiterroriste qui finira par se suicider sous la pression que les politiques et les médias faisaient peser sur lui. Bouleversant, avec sensibilité et sans pathos, une des plus belles déclarations d’amour qu’une fille puisse faire à son père. J’aime les amours qui me laissent sanglotante. Mon côté fifille à son papa.

Heat Wave, de Richard Castle. Parce que dans le roman de Ricky, Jameson Rook et Nikki Heat ne font pas que jouer au jeu du chat et de la souris. Et qu’il n’y a pas que le tragique dans la vie.

Voilà. Pas que du pur roman, donc, mais de belles histoires d’amour quand même. 

Mademoiselle Potiron 

Redmond O'Hanlon, Help !


Chers Amis du Potager,

Souvenez-vous. Nous avions quitté Redmond O’Hanlon au cœur de la jungle de Bornéo, après une expédition à la recherche du rhinocéros de Sumatra, en compagnie du poète James Fenton.

Quelques années plus tard, une nouvelle fois saisi par la bougeotte, Redmond décide de tenter un voyage en pirogue dans la forêt amazonienne vénézuélienne, sur les traces de Richard Spruce et d’Alexander von Humboldt.

Après avoir renouvelé le contenu de son Bergen grâce à un petit séjour chez ses potes des SAS, Redmond se met en quête d’un compagnon de route. James Fenton refuse tout net (Bornéo lui a suffit), ses autres camarades déclinent également, ayant tous des choses plus intéressantes à faire (aller chez le dentiste, par exemple).

Redmond se rabat donc sur Simon Stockton, pur produit de la culture urbaine londonienne, photographe, pote de Martin Amis, amateur de jolies filles, ancien directeur de boîte de nuit et co-gérant du Kensington Sovereign Casino, dont le langage fleuri devrait s’accorder à merveilles avec la luxuriance sud-américaine (tu parles…). Le pauvre garçon, dans un moment d’égarement (découvrir son moi intérieur, toussa, toussa) accepte donc d’accompagner dans son aventure celui qu’il surnomme affectueusement Dodu.

Direction Caracas, donc, où Charlie Brewer-Carias, célèbre naturaliste et explorateur, concocte pour Redmond un itinéraire au poil, lui fournit une équipe sûre, basée à San Carlos de Rio Negro, des conseils logistiques, ainsi qu’un couteau multi-usage, à côté duquel le couteau suisse fait figure de simple cure-dent.

Comme toujours avec Redmond, l’expédition se révèle haute en couleurs, que celles-ci proviennent des plumes chatoyantes des oiseaux, des orchidées ou des bottes jaune poussin portées par Pablo.

La nature est à la fois hostile et envoûtante, abordée avec un flegme tout britannique (dans les mauvais moments) et un enthousiasme bondissant (dans les bons moments) par notre héros, au grand désespoir de Simon qui, lui, ne comprend toujours pas ce qu’il est venu faire dans cette galère.

L’aboutissement de cette quête, c’est la découverte des authentiques Yanomami, peuplade primitive, dont les mœurs sont réputées violentes à souhait. Les compères de Redmond, d’ailleurs, malgré leur posture de machos sans peur et sans reproche, en prend un léger coup, à cette perspective, et il faudra toute la détermination de l’orgueil blessé de Chimo pour que la rencontre ait enfin lieu.

Inutile de préciser que nos aventuriers ne finiront pas en pâtée pour aligator, mais que la soumission aux coutumes Yanomami vous décolle malgré tout la pulpe du fond. Redmond en fera l’halucinante (au sens propre) expérience.

Une fois encore, Redmond allie les découvertes naturalistes à l’aventure humaine. Pour ne rien dire de son humour anglais omniprésent, qui donne un côté picaresque à ces pérégrinations érudites et croquignolesques.

Mademoiselle Potiron

Help ! ma croisière en Amazonie (In trouble again), par Redmond O’HANLON, Petite Bibliothèque Payot 1988, 433 pages, 10,40 euros