mardi 22 novembre 2011

James Hadley Chase, Pas d'orchidées pour Miss Blandish

Chers Amis du Potager,

Voilà un court roman policier, type du roman noir américain des années trente  à cinquante, écrit, en six week-ends, par un Anglais qui n’a jamais mis les pieds aux Etats-Unis, mais à l’aide d’un dictionnaire d’argot US.

Un tel hybride pourrait être une gentille plantade. Devrait être une gentille plantade. Mais non.

Miss Blandish (dont on ignorera jusqu’au bout le prénom) est la fille du milliardaire John Blandish, qui va lui offrir, pour ses fiançailles, une rivière de diamants valant dans les 50.000 dollars. Autant dire, pour l’époque, que son possesseur pourra vivre tranquille jusqu’à la fin de ses jours.

Voilà pourquoi Riley et sa bande (Bailey et le vieux Sam) décident de piquer le collier de la demoiselle, au détour d’un bois, après la réception pour les fiançailles.

Seulement les choses ne se passent pas comme prévu : Bailey abat le falot fiancé, la bande doit kidnapper Miss Blandish et, pire que tout, elle s’est fait repérée par Eddie, du gang Grisson, qui viendra reprendre Miss Blandish pour réclamer un million de rançon à papa.

Seulement voilà. Si le gang Grisson est dirigé d’une main de fer par M’man Grisson, son fiston, surnommé Slim, se prend de passion pour Miss Blandish. Il faut dire que Slim a tout du prince charmant : le cheveu gras, la lippe molle, la silhouette dégingandée, l’intellect proche de celui du bigorneau, et le sadisme imaginatif.

Pour garder son emprise sur son rejeton, M’man va devoir user de moyens subversifs pour que Miss Blandish se prête aux perversités de Slim.

Voilà pour le point de départ de cette histoire. Un peu glauque ? Du tout.

Si James Hadley Chase n’a jamais connu le Kansas, son roman est aussi efficace que ceux de Chandler ou Hammett. Car l’enquête sur la disparition de Miss Blandish, après que la police a fait chou blanc, est confiée à un détective, assisté d’une gironde secrétaire. Et que les bandits tirent dans tous les coins, que les effeuilleuses lâchent le morceau à la seule évocation de Broadway, que ça explose, avec humour, vieux malfrats racornis, cadavres enterrés au pied d’un arbre, mafieux reconvertis et roi du surin.

Le vocabulaire use effectivement de l’argot du milieu, sans que cela paraisse trop artificiel (sauf dans certains passages, mais c’est peut-être une erreur de traduction, comme à l’évocation du « casier à gants » d’une voiture).

Même si ça n’atteint pas le niveau des chefs-d’œuvre que sont pour moi le Grand sommeil (pour le coup, la traduction de Boris Vian est délicieuse) et le Faucon maltais, c’est un très bon roman noir, classique dans sa construction, bien élaboré, avec lequel on peut passer un excellent moment. 

Mademoiselle Potiron
Pas d'orchidées pour Miss Blandish (No orchids for Miss Blandish), par James Hadley Chase, Folio Policier, 293 pages, 6,80 euros

Caryl Férey, Zulu

Chers Amis du Potager,

Attention ! Roman noir. Très noir. Et pas seulement parce que son action se déroule en Afrique du Sud et que son héros appartient à l’ethnie zouloue.

Au Cap, à quelques mois de la coupe du monde football qui rend les autorités plus que fébriles, une jeune fille blanche, de très bonne famille (papa est un springbock), est retrouvée assassinée dans le jardin botanique de Kirstenbosch. Les conditions de son meurtre sont particulièrement atroces, la donzelle ayant été frappée à mort au point de n’avoir plus qu’une masse informe et sanguinolente en guise de visage.

Voilà. Vous n’avez pas encore vomi votre petit déjeuner ? OK, alors je continue.

Il se trouve que dans le sang de la victime, on découvre une nouvelle drogue, dérivée du tik, mais à laquelle on a ajouté d’autres molécules inconnues, qui rendent ses effets proprement dévastateurs : rage sanguinaire d’une violence inouïe.

C’est le commissaire Ali Neuman, chef du département criminel, qui est chargé de l’enquête. Pour préciser les choses, enfant, il a vu son père militant pendu, après moult sévices, et son frère aîné brûlé vif (après qu’on a enflammé un pneu enroulé autour de son cou. Charmant) par des afrikaners un chouia racistes.

Encore là ?

Bon, vous l’aurez voulu.

Je n’en dirai pas plus sur l’enquête, très bien ficelée, très prenante. Une vraie réussite que cette intrigue contemporaine mais ancrée dans la culture sud-africaine (l’évocation des traditions guerriers zouloues rappelle plus Chaka que Johnny Clegg, même si j’aime bien Johnny Clegg).

Sachez seulement que, si certaines bloggeuses s’étaient interdit de lire l’Obscure mémoire des armes pour trois pages rappelant les sévices subis par les opposants à la Villa Grimaldi, là, on atteint un degré largement supérieur.

Diaz-Eterovic, grâce à l’élégance très littéraire de sa plume, parvient à maintenir une certaine distance avec les tortures chiliennes. Caryl Férey, lui, par son écriture incisive et particulièrement efficace, ne laisse aucune échappatoire à la violence qui parcourt ce roman très dense.

Pour tout dire, même moi, qui suis réputée pour mon cœur de pierre (voir Maître Mô) et mes nerfs d’acier (malgré tous les morts du Livre sans Nom, même pas peur), n’ai pu m’empêcher de ressentir un léger malaise à la lecture de la scène de la plage. Bon, faut dire que je l’ai lu à 3 heures du mat’, au cours d’une insomnie (riche idée). Ben il m’a fallu quelques pages de Borges pour m’ôter cette scène, réaliste en diable, de la tête.

Néanmoins, cette violence fait partie prenante de l’histoire du livre et de l’Histoire de l’Afrique du Sud. Elle n’est pas là simplement pour aguicher le lecteur tarantinophile. Elle a son rôle à jouer, au-delà de la seule intrigue, car Caryl Férey a produit un roman très documenté sur les années d’apartheid et le changement social qui a suivi.

Et tout n’y est pas qu’horreur. Brian, malgré (grâce à) sa nonchalance désabusée, apporte une touche d’humour léger. Et Josephina, la mère d’Ali, est un personnage solaire.

Et puis même si l’auteur est français, il n’a pas essayé de « faire l’Américain », prouvant ainsi que l’on peut écrire un thriller plus qu’efficace sans perdre son identité.

Bref, un coup de cœur pour cœurs bien accrochés.

Mademoiselle Potiron
Zulu, par Caryl FEREY, Folio Policier 2008, 455 pages, 7,80 euros

Maître Mô, Au Guet-apens

Chers Amis du Potager,

Après vous avoir présenté Jaddo, il faut que je vous parle de Maître Mô.

Cet avocat lillois, spécialisé en droit pénal, tient, lui aussi, un blog alimenté de façon assez décousue (qui a dit « comme chez Potiron ? ») mais dont chaque article, long et intense, sait tenir le lecteur le plus rétif en haleine (et pour lire plus de 10.000 mots sur un écran d’ordi, sans émettre la moindre plainte, hormis quelques couinements aux moments stratégiques, il faut que les articles soient bons, croyez-moi).

Maître Mô, c’est le pénal à l’état brut.

C’est dur, violent, émouvant (que de fois me suis-je trouvée, moi pourtant réputée pour mon cœur de pierre, sauf devant 30 millions d’amis, larmoyant bêtement dans mon kleenex…), très bien écrit (malgré les protestations du Maître qui déplore son orthographe) avec des mots justes et qui font mouche à chaque fois.

C’est aussi surprenant, agaçant, angoissant, impatientant (ça se dit ?), amusant (les suspentes, c’est redoutable…), étouffant, rageant, attendrissant. La vraie vie, quoi.

Notre bon Maître, donc, lassé de n’être connu que de ses amateurs virtuels, a tapé dans l’œil d’une éditrice de talent, qui a sélectionné une quinzaine de ses posts (dont chacun fait la taille d’une bonne nouvelle bien grassouillette), pour en faire un livre.

Et ce livre devrait être lu par tous les électeurs de ce pays (et d’ailleurs).

Parce que la justice pénale ne saurait être toute noire ou toute blanche, parce que c’est dans ses nuances que se niche le diable, parce que derrière les faits divers se cachent des êtres humains (hé oui, même s’il n’est pas question d’absoudre tout le monde).

Parce que le métier exercé par Maître Mô requiert non seulement de maîtriser la science juridique (à la portée de toute bête à concours) mais encore une humanité qui ne saurait s’apprendre dans les livres.

Alors oui, Maître Mô ne vit pas le monde des Bisounours. Loin, très loin de là. Mais il y a toujours dans ses récits (oui, même dans Noël, avec l’intervention de Raymonde et de son mari) une petite lueur d’espoir en l’avenir de l’Homme (et de la Femme, tant qu’à faire).

Chacune de ces histoires est une histoire vraie. Seuls ont été modifiés les éléments permettant d’identifier les protagonistes, secret professionnel oblige.

Cette lecture salutaire permet de comprendre que la justice n’est pas si éloignée que cela des citoyens au nom desquels elle est rendue, contrairement à ce que voudrait nous faire croire certains politiciens.

Parce que juger, et plus encore défendre, requiert une telle proximité avec le réel qu’on s’en prend plein la figure. Parce que les avocats d’assises y laissent leurs tripes (et que les honoraires ne comptent pas, merci l’aide juridictionnelle).

Parce que ces avocats font partie des remparts de la démocratie.

Et qu’au-delà de tout corporatisme, il faut bien reconnaître que Maître Mô en a dans le pantalon et dans la plume. 

Mademoiselle Potiron
Au Guet-Apens, par Maître Mô, la Table Ronde 2011, 250 pages, 21 euros

Ray Bradbury, Fahrenheit 451

Chers Amis du Potager, 

Ce roman est un véritable chef d’œuvre, connu de tous. En faire la critique n’est donc pas du gâteau (même si on se souvient que j’avais entamé mes posts en critiquant les Hauts de Hurle-Vent… Même pas peur…).

Guy Montag est un pompier. Mais pas un pompier qui éteint les incendies, dans un monde où les maisons sont ignifugées. Un pompier équipé d’un lance-flammes chargé de brûler les livres, objets maudits dans un monde où le visuel, et le virtuel, sont rois. Sa femme Mildred vit d’ailleurs dans une bulle perpétuelle, cultivant une illusion de bonheur.

Un soir, en rentrant du travail, encore imprégné de l’odeur de l’essence et de la flamme, Montag rencontre Clarisse, sa voisine, jeune fille étrange, ouverte aux réalités de la vie et pleine de questions. Pendant quelques jours, ils feront un bout de chemin ensemble, et les idées en l’air de Clarisse vont trouver un écho en Montag.

Il rencontre également une autre femme, chez qui il est venu brûler des livres, et qui préfère s’immoler avec eux plutôt que de voir des œuvres détruites par les pompiers.

Ce sacrifice bouleverse Montag, déjà ébranlé par la disparition de Clarisse. Et le fait peu à peu basculer de l’autre côté. Du côté des livres.

Jusqu’à la trahison.

Alors, oui, Fahrenheit 451 est un classique.

Mais quel classique !

En quelques brèves pages, Ray Bradbury réussit l’exploit de décrire, en même temps :
- Une société déboussolée et psychotique,
- De belles rencontres amicales,
- Un thriller punchy,
- Des innovations technologiques, prospectives pour Bradbury, mais aujourd’hui ancrées dans notre réalité (ce livre est vraiment prophétique),
- Une réflexion sur la condition humaine et son rapport à la culture,
- Le délitement d’une histoire d’amour,
- Une révolte,
- Une apocalypse nucléaire,
- Une mémoire vivante des livres (qui, soit dit en passant et sans vouloir spoiler, a dû inspirer largement le Livre d’Eli, film avec Denzel Washington et mon cher Gary Oldman).

Rien que ça.

Et la langue est somptueuse. Parce qu’à la tension dramatique maintenue de bout en bout, Bradbury réussit l’exploit d’écrire avec élégance et une grande beauté, pour parler des livres marquants, ou d’autres qui le sont moins mais qui n’en méritent pas moins d’exister.

Bref, pour moi, une réussite, brillante, puissante, intelligente. 

Mademoiselle Potiron
Fahrenheit 451, par Ray BRADBURY, 1953, Folio SF, 213 pages, 5,70 euros