jeudi 13 septembre 2012

Antoine Bello, Enquête sur la disparition d'Emilie Brunet


Chers Amis du Potager,

Tout le monde sait que j’ai l’habitude d’arriver après la bataille, et vous ne vous étonnerez donc pas que je commente seulement maintenant l’Enquête sur la disparition d’Emilie Brunet, paru en 2010, encensé par la critique (au point que je l’avais offert à la Nectarine qui a, je crois, bien aimé).

Mes vaillants et courageux Billy® n’étant pas des surhommes, j’ai sagement attendu la sortie en poche (que j’ai ratée) jusqu’à le retrouver dans ma LAL et de me dire « après tout pourquoi pas ? ».

Il faut dire que l’intrigue de base, bien classique (la jeune épouse richissime d’un don juan disparaît avec son amant, le mari est forcément le coupable), est rehaussée par la personnalité de l’enquêteur, Achille Bonot. Ce dernier souffre en effet d’amnésie rétrograde, ce qui l’oblige à tenir un journal de son enquête. Journal que nous avons sous les yeux.

Achille (avec un nom pareil, hein…) voue une passion sans borne à Agatha Christie (ce n’est pas moi qui vais le lui reprocher), et surtout à Hercule Poirot, dont les petites cellules grises ont fait un émule.

Bien, bien, bien.

Le souci, c’est que si l’idée de base est bonne, son exploitation s’essouffle assez vite, pour se résumer à la gueguerre psychologique (à fleuret moucheté, nous avons affaire à des gentlemen) entre Achille et Brunet, le génial cogniticien.

Alors, oui, c’est intéressant, oui, la disparation d’Emilie peut n’être qu’un alibi littéraire, pourquoi pas, mais alors il faudrait que ce combat prenne un peu d’ampleur. Parce que finalement on s’ennuie un peu. L’intérêt ne provient que des réflexions sur le whodunit christien, l’art d’Hitchcock ou les principes de Van Dine, dont Pierre Bayard nous avait déjà parlé, et en mieux, dans « Qui a tué Roger Ackroyd ? », source parfaitement assumée par Antoine Bello. De là à se demander si la lecture des ouvrages cités dans la bibliographie n’aurait pas été plus intéressante…

Et puis la culture d’Antoine Bello est profondément anglo-saxonne. Alors que l’histoire est censée se passer en France (je ne vois pas les facteurs US faire grève pendant des semaines), la procédure pénale est profondément law & order-isée. Parce que voir un accusé français prêter serment, ben, comment dire, ça fait peut-être très « j’invoque le 5e amendement », mais pas très code de procédure pénale… Parce que voir un procureur qui lit l’acte d’accusation, ça va peut-être quand c’est MacCoy, mais pas quand c’est Courroye. Et que voir l’accusé qui pose lui-même les questions qu’il veut à « son » témoin de la défense, je crois que cela ferait hurler n’importe quel président de cour d’assises. Et que tout avocat digne de ce nom s’indignerait contre une garde à vue décrétée sur la simple idée que Brunet doit être le coupable, sans aucun indice grave et concordant bla-bla-bla. Et, le pompon des pompons, que ledit procès d’assises se tienne six semaines après la déclaration de la disparition d’Emilie, c’est purement irréaliste (même si ça ferait très plaisir à la Cour Européenne des Droits de l’Homme).

En passant, bien entendu, sur le fait que Brunet se retrouve aux assises alors qu’il n’y a ni corps, ni indice, ni témoin, ni le moindre élément, bref, pas un pet de coucou, qui démontre, premièrement qu’il y a eu un crime et deuxièmement que c’est Brunet qui a tué (pour autant qu’on sache, Emilie peut très bien être en retraite dans un ashram du Bouthan).

Bon, à part ça, il faut quand même reconnaître que l’écriture est plaisante, et que ça se lit bien. Je suis d’ailleurs bien consciente que mes vitupérations procédurales laisseront de marbre les non-juristes, qui s’en tamponneront le coquillard. Et qui y prendront sans doute, du coup, bien plus de plaisir (comme ma Nectarine).

Cela dit, les médecins (surtout Jaddo) devraient trouver croquignolet que le gynécologue de Monique diagnostique son cancer du sein à l’AUSCULTATION (c’est un gynécologue à l’ouïe fine, sans doute).

Mademoiselle Potiron

Enquête sur la disparition d’Emilie Brunet, par Antoine BELLO, Folio, 284 pages, 6,50 euros

Marie-Hélène Lafon, Album


Chers Amis du Potager,

Marie-Hélène Lafon est née et a grandi dans le Cantal. So what ? m’interromprez-vous. Eh bien, le Cantal est le thème principal de son recueil, sobrement intitulé Album.

Alors bon, oui, dit comme ça, le Cantal, à part une publicité débile (et misogyne) pour le fromage du même nom et le fait qu’à Aurillac on se les gèle, le Cantal, ben, ça ne vous inspire pas grand-chose. Tut-tut-tut.

Marie-Hélène Lafon devrait y remédier, surtout si votre vision de la ruralité va plus loin que le salon de l’agriculture ou l’amour est dans le pré. Bref.

Dans ce recueil, qui a des airs d’abécédaire, la conteuse va vous présenter ce qui remplit ses souvenirs du Cantal : une paire de botte, un tracteur, le mufle tiède d’une vache salers, les nuages qui survolent la campagne, les arbres solitaires et hiératiques, les brumes et la rivière.

Et c’est beau.

Tous ceux qui, comme moi, ont fréquenté la campagne y trouveront des échos à leur enfance, à leurs grands-parents, aux cabanes dans les bois, au chocolat chaud des goûters.

Ce recueil est une madeleine de Proust, qui sent l’écurie et la paille tiède. Il ne se lit pas. Il se hume, il se respire, il se goûte, il se tâte.

Parce que quand Marie-Hélène Lafon décrit les brumes sur la rivière, ceux qui les ont connues perçoivent ce parfum humide et frais, un peu terreux. Parce que quand Marie-Hélène Lafon décrit les bottes en caoutchouc, je revois les miennes (jaunes avec un soleil imprimé dans la semelle) couvertes de brins d’herbe coupée qu’y collait la rosée. Parce que ma grand-mère aussi tricotait des chaussons en laine, à glisser dans les godillots qui servaient au jardin.

Elle y parle aussi de la solitude de ces terres abandonnées, de ces résidences secondaires sur lesquelles on referme en octobre des volets qui ne s’ouvriront plus jusqu’au printemps, de la rudesse du climat, de l’âpreté de la terre et des hommes.

Dans un style simple, mais d’une poésie redoutable, elle nous enchante, nous charme.

Et vous avouerez que rédiger un texte sur une paire de bottes ou le journal, il faut le faire, non ?

Un grand merci à Sylvie, qui m’a fait partager cette lecture à la fois réconfortante et nostalgique.

Mademoiselle Potiron

Album (2012), par Marie-Hélène LAFON, Buchet-Chastel, 94 pages, 10 euros.

Akira Yoshimura, le Convoi de l'eau


Chers Amis du Potager,

Damned, Francis a encore frappé. C’est en effet sur ses conseils avisés que je me suis penchée sur le Convoi de l’eau, d’Akira Yoshimura. Et bien m’en a pris.

Il y a quelques années, j’avais lu la Jeune fille suppliciée sur une étagère, du même auteur. Outre son titre fabuleux, je garde un bon souvenir de courte nouvelle. Du coup, sitôt em-PAL-é, sitôt lu.

Au cours de la seconde guerre mondiale, un B-29 de l’armée américaine s’est écrasé dans une gorge perdue des montagnes japonaises, aux abords d’un hameau oublié de tous. Quelques années plus tard, grâce à un survol en hélicoptère, les ingénieurs d’une compagnie électrique s’avisent que cette vallée encaissée, irriguée par un torrent au débit important, ferait un emplacement idéal pour le lac de retenue d’un barrage hydroélectrique.

Des ouvriers sont donc envoyés sur place, pour tâter le terrain (au sens propre). Au terme de 5 jours de marche forcée au travers d’une sombre forêt, le narrateur et la soixantaine d’ouvriers qui l’entoure, arrivent enfin au but. Et la beauté de l’endroit le frappe, avec son torrent ronflant, son hameau de vieilles maisons aux toits pentus recouverts de mousses, son pont de terre, son temple et son impressionnant cimetière qui, contre toute attente et toute logique économique dans un lieu où la terre arable est rare, donc précieuse, occupe une longue partie plane de l’étroite vallée, où le printemps s’accompagne de l’apparition d’une multitude de petites rainettes d’un joli vert.

Pourtant, les relations entre les ouvriers et les quelques 300 habitants du hameau sont réduites au strict minimum. On s’épie de loin, on se prévient du début des travaux de dynamitage, et c’est tout. Ces deux mondes pourraient évoluer en parallèle, sans jamais se croiser, mais les travaux dans la montagne ne peuvent que se répercuter sur la silencieuse communauté locale. Et que le hameau exerce une attraction involontaire, tantôt émue, tantôt haineuse, sur les ouvriers.

Au cours d’une cohabitation sur presqu’un an, le narrateur, qui traîne derrière lui quelques casseroles (pour ne pas dire de bonnes grosses marmites), va s’apaiser au contact de ce hameau moussu, retrouver une sérénité que les menaces d’expropriation pourraient mettre à mal.

Je n’en dirai pas plus (j’ai déjà été bien bavarde).

C’est un récit extrêmement fort, extrêmement beau, pleine d’une poésie sans pathos, pleine d’une humanité douce-amère, qui trouve son aboutissement dans les dernières pages, où le titre trouve enfin sa résonnance.

C’est aussi l’histoire de la rédemption d’un homme, d’une lutte contre la fatalité, d’une résistance qui ne dit pas son nom. Une histoire d’amour aussi, d’une certaine façon.

En résumé, c’est à lire absolument.

Mademoiselle Potiron

Le Convoi de l’eau (mizu no soretsu – 1976 – trad. Yukata Makino), par Akira YOSHIMURA, Babel 174 pages, 6,60 euros