Chers Amis du Potager,
Les bourses aux livres sont une merveille. On n’y hésite pas à acquérir des ouvrages qu’un prix plus élevé aurait peut-être condamnés à demeurer sur l’étagère du libraire (aussi merveilleux fût-il), et on y fait de jolies découvertes, sans culpabiliser.
C’est ainsi que Thierry Jonquet a fini (ou du moins son roman) dans mon cabas.
Lorsque s’ouvre ce curieux et court roman, le commissaire Gabelou assiste à l’exhumation d’un petit cercueil, dans un froid cimetière normand, près d’Etretat. Dans un appentis, le légiste procède à une autopsie rapide du corps du Gamin. Rien de probant. Le meurtre est possible, mais aucune preuve.
Pourquoi alors aller se pencher sur le petit garçon, tombé d’un RER en marche pour frapper un pylône ? Parce qu’il y a l’Emmerdeur, qui rôde autour du cimetière. L’Emmerdeur, c’est l’employé de la Compagnie. Non, non, par la CIA. Pire. La Compagnie d’Assurances.
Parce que le Gamin n’est qu’une des multiples victimes du Coupable, lequel a également occis le Commis-Boucher. Et la Compagnie d’Assurances du Boucher n’aura pas à indemniser s’il s’agit bien d’un meurtre.
Alors Gabelou creuse, pour en avoir le cœur net. Parce que l’on sait déjà tout. Le Coupable a enregistré toute sa confession sur de nombreuses cassettes audio. Il y a eu la Vieille, le Commis, le Gamin et le Visiteur. Après la Poison, Irène, l’épouse volage du Coupable.
Au milieu de tous ces archétypes, il y a aussi Léon. Léon, vieux, moche et puant, qui errait dans les rues d’Altay, regrettant l’époque où cette ville de banlieue était encore la campagne, jusqu’à sa rencontre avec le Coupable, à qui une indéfectible amitié va le lier.
Léon est le témoin numéro 1, il a entendu toutes les confessions, mais il ne dira rien, quelques soient les menaces ou les cajoleries, parce que le Coupable est son ami, peut-être le seul qu’il ait jamais eu.
S’en suit un récit à trois voix : celle de Léon, qui raconte l’enfoncement dans la folie du Coupable, celle de Gabelou, qui remonte le fil des meurtres, et celle du Coupable, hospitalisé à l’Hôtel-Dieu, qui résonne à travers les enregistrements sur cassettes.
Aucun suspens, donc.
Mais le charme n’est pas là. Il est dans ces récits croisés d’individus qui, finalement, se ressemblent malgré leurs apparentes différences, qui évoque une nostalgie de la terre, d’avant les cités-dortoirs et les autoroutes. Il est dans l’humour de Léon, désabusé mais lucide. Il est dans la description presque clinique du délire du Coupable, amateur de modèles réduits ferroviaires, hanté par Irène et accumulant les détritus. Il est dans la bonhomie nonchalante de Gabelou.
Il est dans l’avertissement, gentiment proposé par l’auteur.
Et il est dans la fin. Surprenante (j’ai dû relire le passage trois fois, pour m’en convaincre), mais pas artificielle. Dont je ne vous dirai rien, sinon qu’elle éclaire le récit d’un jour nouveau.
Une fois encore, c’est un récit bref, qui se lit d’une traite, mais fort prenant, envoûtant. On s’attache à Léon, à Gabelou. Peut-être aussi un peu au Coupable, délirant mais désespéré.
Une très bonne surprise.
Mademoiselle Potiron
La Bête et la Belle, de Thierry JONQUET, 1985, Folio Policier, 157 pages, 5,70 euros
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