mardi 29 mars 2011

Agatha Christie, la Romancière et l'Archéologue

Chers Amis du Potager,

Après avoir presque épuisé les fictions créées par Dame Agatha, je me suis tournée vers ses écrits autobiographiques.

Dans la Romancière et l'archéologue, elle raconte les expéditions archéologiques menées par son second mari, Max Mallowan, dans les années 30, au Moyen-Orient. Dit comme cela, ça peut sembler un peu rude, mais c'est compter sans l'humour ravageur d'Agatha, ses relations plus ou moins conflictuelles avec les habitants locaux, ses rencontres nocturnes avec les bêbêtes du cru (la première nuit dans sa maison à Chagar-Bazar est épique), les coutumes, les découvertes, les caprices météorologiques ou de l'administration locale.

Et compter sans Max, son mari, dont la photographie en couverture ne rend pas justice à son charme et à sa bonne humeur. Extrait, la scène ayant lieu avant le grand départ pour l'aventure:

" A neuf heures du matin, je suis appelée à la rescousse pour jouer les poids lourds et m'asseoir sur les valises rebondies de mon époux.
- Si toi tu ne peux pas les fermer, personne n'y arrivera! me dit-il d'une manière bien peu galante."

Et puis il y a Mac, l'architecte, le taciturne, dont les monosyllabes donnent à Agatha l'impression d'être une idiote finie, dont la première oeuvre architecturale sur place a été de construire la cabane des toilettes, qui refuse de parler arabe aux ouvriers et s'obstine à leur parler anglais en gesticulant, qui ne manifeste jamais aucune émotion mais dont l'humeur égale le rend facile à vivre, n'a d'autre loisir que de rédiger son journal et que les moustiques mêmes laissent en paix la nuit. Un être un peu effrayant. Jusqu'au jour où une lampe à pétrole récalcitrante refusant de s'allumer contre toutes les règles mécaniques et physiques le poussera à s'énerver et à jurer. Conclusion d'Agatha :
"Un sentiment que je qualifierais presque d'affection m'envahit. Après tout, notre Mac est humain. Il a été vaincu par une lampe à pétrole!"
Le soir même, une tempête balaie le camp:
"Max, Mac et Aristide soutiennent vaillamment la grande tente. Mac s'accroche au mât. Soudain, nous entendons un bruit sec, le mât se rompt et Mac s'affale la tête la première dans une boue épaisse et visqueuse. Lorsqu'il se relève, non sans difficulté, il est méconnaissable. Sa voix s'élève, on ne peut plus naturelle :
- Et m...! hurle-t-il, devenant enfin tout à fait humain.
Mac est enfin des nôtres!"
Mac et son amour pour les chevaux, Agatha et ses déboires culinaires, Max et ses aventures au volant du Queen Mary (que la saison suivante et une couche de peinture rebaptisera Blue Mary), le camion de l'équipe... C'est toute une famille de coeur que la Dame nous donne à voir, à entendre. On est entre amis, qu'il est un peu dur d'abandonner, tant l'ambiance des fouilles est attachante, à la veille de la seconde guerre mondiale.

Mademoiselle Potiron

La Romancière et l'Archéologue (Come, tell me how you live), par Agatha CHRISTIE, Petite Bibliothèque Payot, 317 pages qui passent trop vite, 8,50 euros qui les valent bien

Elizabeth Peters, The Curse of the Pharaohs

Chers Amis du Potager,

Où l'on retrouve Amelia Peabody et Emerson, mariés, parents d'un petit Ramsès (surdoué affublé de difficultés d'élocution et du caractère placide de ses parents... Ahem...), s'ennuyant en Angleterre.

Jusqu'au jour où débarque la minaudante Lady Baskerville (avec un tel nom...), récente veuve de Lord Baskerville, lequel est malencontreusement décédé d'une petite blessure à la main faite en ouvrant le tombeau d'un pharaon. Sur le modèle malédiction de Toutankhamon, son assistant disparaît, les accidents s'abattent sur l'expédition telles les grenouilles sur Yul Brunner dans les 10 commandements. D'où la Lady aux abois qui se précipite sur son cher Radcliffe en papillonnant à qui mieux mieux pour qu'il prenne la suite du défunt Lord dans l'expédition. A la plus grande joie d'Amelia (re-ahem...).

Inutile de dire que notre couple d'aventuriers va sauter sur l'occasion de retourner en Egypte (la perspective de clouer le bec à Lady Baskerville ayant une part dans la motivation d'Amelia). Outre les fouilles, ils seront confrontés à un tas d'énigmes : la mort de Lord Baskerville est-elle naturelle? Où a donc pu disparaître son assistant Alan Armadale? Qui est la mystérieuse dame en blanc qui hante le campement?

On retrouve bien entendu l'humour propre à Amelia, son énergie, dans une ambiance très proche de Meurtre en Mésopotamie, d'Agatha Christie. Et la scène où Emerson se livre à un spectacle de prestidigitation, assisté par une petite chatte, est tout simplement hilarante.

Une excellente référence. La série se poursuit sur les chapeaux de roue. Vivement la suite.

Miss Pumpkin

The Curse of the Pharaohs, par Elizabeth PETERS, Robinson 312 pages, environ 12 euros.

Motorô Mase, Ikigami Préavis de mort

Chers Amis du Potager, 

Un peu de manga, dans un style tout à fait différent de Chi, pour varier les plaisirs.

Bon, l'image est la couverture du tome 8, qui vient de sortir, mais cette série est bien faite, et cela ne devrait pas vous arrêter. Fujimoto est fonctionnaire, chargé de délivrer l'ikigami, le préavis de mort. Ah. Vous voilà bien avancés. 

Pour préciser les choses, dans cette uchronie, chaque enfant au cours de sa scolarité reçoit une injection. Nul ne peut y échapper. Pour la plupart, cette injection n'aura aucune conséquence. Pour les quelques autres, la mort peut survenir à tout moment, entre leur 18e et 24e anniversaire. Mais le système est ainsi fait que personne ne sait qui va être frappé, ni quand. Sauf le livreur d'ikigami qui vient prévenir le malheureux récipiendaire 24 heures tout pile avant la fatale échéance.

Dans chaque volume donc, Fujimoto, le héros fonctionnaire (si, si, c'est possible), s'en va délivrer son petit formulaire macabre, s'inclinant devant la victime qui va décéder pour la prospérité nationale. Laquelle victime se trouve confrontée à une grave question : que faire de ces dernières 24 heures? Vengeance, rédemption, déclaration, sacrifice,... Tout est possible, chacun réagissant en fonction de son propre passé (parfois lourd) et de ses convictions.

Histoires individuelles doublées d'une réflexion plus large, sur l'intérêt d'imposer cette épée de Damoclès sur la tête de milliers d'enfants. Fujimoto lui-même s'interroge sur la finalité de ce programme: la paix sociale doit-elle est acquise à ce prix? Ce qui n'est pas du goût du poste de surveillance idéologique...

Bref, un manga intelligent et bien fait, au graphisme intéressant. Addictif.

Mademoiselle Potiron

Ikigami, Préavis de mort, par Motorô MASE, Kazé 230 pages, 7,95 euros

lundi 28 mars 2011

Penguin's Mini Modern Classics # 1

Chers Amis du Potager,

Je sais que je commence à faire un fixation sur le Pingouin, mais il faut dire aussi, qu'il fait tout pour cela. Pour fêter les 50 ans de sa collection Modern Classics, le Pingouin a édité 50 petits ouvrages, présentant chacun un recueil de nouvelles ou une nouvelle plus longue d'auteurs modernes de son catalogue, mais de grande classe. Le prix étant plus qu'attractif (3,90 euros pièce), le mini-format étant ultra pratique pour la lectrice compulsive que je suis, qui ne se déplace pas sans une portion importante de sa PAL dans son sac à main. Bref, j'ai fait une razzia, chez ma gentille libraire.

Première fournée, donc, de ces petits ouvrages forts sympathiques.

- La Grosse Fifi, de Jean Rhys. Romancière anglaise née à la Dominique en 1890, Jean Rhys est surtout célèbre pour la Prisonnière des Sargasses, roman qui met en scène la première femme de Rochester, son enfance aux Caraïbes, puis son mariage avec le héros de Jane Eyre. Un "prequel" paru des décennies après l'original.
Dans ce petit recueil, Jean Rhys met en scène la société Bohême des années folles, ses excès, sa fuite en avant, et son désenchantement. Le milieu des artistes, des grisettes, des danseuses est parfaitement rendu, dans sa gaîté et sa cruauté. L'alcool coule à flot. Lu juste avant Le soleil se lève aussi d'Hemingway, auquel ce recueil fait parfaitement écho. Un régal.

- 'They', de Rudyard Kipling. Kipling ne se présente plus. Un de mes auteurs favoris, pour son sens de l'humour et de l'aventure (ses Simples contes des collines auraient également pu figurer dans mon top five).
Ici, trois nouvelles : deux sur les femmes ayant dont les garçons ont été emportés par la grande guerre, par forcément des mères, mais des nounous, des tantes, dont le sens maternel face au désastre se traduit par une dureté face à l'ennemi tombé, et aux souvenirs, ou une recherche aimante du disparu. La troisième nouvelle, qui donne son titre au recueil, est une nouvelle fantastique, où des enfants fantômes hantent la campagne anglaise.

- The Crime wave at Blandings, de P.G. Wodehouse. Wodehouse est pour moi un des maîtres de l'humour anglais, avec Jerome K. Jerome et Saki. Ses romans mettant en scène Jeeves et Bertram Wooster devraient être remboursés par la Sécurité Sociale. Les intrigues bondissantes, avec vieux lords fallots, tantes tonitruantes, jeunes filles modernes (c'est à dire avec un sacré caractère), jeunes hommes affublés de passions étranges (les tritons, par exemple), sont basées autour d'histoires d'amour contrariées où les mâles cèdent plus que souvent face aux exubérantes femelles, où Bertie se met immanquablement dans un pétrin sans fin dont Jeeves, le génial Jeeves, le sort toujours. 
Sur des thèmes semblable, la vague criminelle qui frappe Blandings met aux prises Lord Emsworth, placide et effacé, avec sa soeur tyrannique, un secrétaire qu'il déteste, son garnement de petit-fils, et sa nièce bien décidée à épouser qui elle entend. Ajouter un pistolet à air comprimé, et vous aurez une folle après-midi dans le Shropshire. C'est drôle, c'est bien écrit, c'est enlevé. J'adore. 

Et bientôt la suite des merveilles du Pingouin!

Miss Pumpkin

Konami Kanata, Chi une vie de chat

Chers Amis du Potager, 

Ma Japonaise adorée, connaissant ma passion pour la gente féline, m'a conseillé ce manga, mignon comme tout, ce qui a entraîné l'acquisition immédiate autant qu'impulsive des trois tomes parus de cette délicieuse série.

Chi, une petite chatte âgée de quelques semaines, s'égare dans les rues d'une ville japonaise et se retrouve en pleurs dans le parc. A quelques centimètres de sa truffe, le petit Yohei (environ 4 ans) vient s'étaler de tout son long. Voici donc notre chatonne et le petit garçon, tous deux les larmes aux yeux. Love at first sight. 

La petite est aussitôt recueillie, dans l'attente d'être confiée à de bonnes âmes (les parents de Yohei habitent un appartement dans une résidence interdite aux animaux). Et baptisée Chi ("pipi" en japonais) en raison de l'apprentissage de la litière quand Yohei apprend de son côté à utiliser les toilettes.

S'en suit les aventures de Chi, sous forme de petites scènes adorables, où elle découvre le monde, les croquettes, le vétérinaire, échappe à la surveillance de la gardienne, l'autre chat clandestin qui fréquente l'immeuble.

On s'attache très facilement à la petite demoiselle, fort bien croquée par Konami Kanata, mangaka spécialiste du neko, drôle, attachante et dotée d'un fort caractère. Seul bémol : elle est affligée d'un zézaiement des plus désagréable (une liberté dans la traduction?).

Voilà. C'est vite dévoré, mais on passe un fort bon moment. D'autant que c'est un des rares mangas en couleur. Petit avantage pour les réfractaires au manga : Chi est publiée dans le sens de lecture français.

La régression, ça a du bon. 

Mademoiselle Potion

Chi, une vie de chat (Chi's sweet home), par Konami Kanata, Glénat Kids, 160 pages environ par volume (3 volumes parus à ce jour), 10,55 euros.

La revanche d'une nectarine

Chers Amis du Potager,

La nectarine récidive. Après m'avoir asticotée pour savoir quels seraient les 5 livres que je sauverais pour l'avenir de l'humanité (seulement 5, un drame), la voilà qui me demande en substance quels sont les 5 livres que j'abandonnerais à la vindicte publique. Ou pour être plus précise dans l'intitulé : les 5 livres dont je suis venues à bout, en me répétant tel un mantra "vivement la fin, pitié, vivement la fin".

Ah, la lecture pénible! Le pensum! L'indigeste pavé!

Tout d'abord, éliminer les faux bouquins lourdingues, dont le seul avenir est de caler les pieds d'une armoire :

- Les livres dont les débuts sont difficiles : dans cette catégorie peuvent être classés de petites merveilles, mais dont les premières pages sont un peu lentes, où on se demande encore si oui ou non l'impétrant a été tiré du néant de la PAL à juste titre. Et dont la suite la lecture prouve que l'on a bien fait de persévérer car, my god, ç'eût été péché de s'arrêter si tôt. Par exemple, The Curse of the Pharaohs (dont le post est à venir), ou l'Heure Blafarde, de William Irish, dont les 17 premières pages m'ont parues un peu bof, mais dont la suite m'a emballée à un point! Ce roman est une petite merveille, qui aurait mérité de figurer dans mon top five, pour l'histoire, pour le couple de personnages, pour le compte à rebours, pour le talent d'Irish. Bref, un bijou vivement conseillé.

- Les livres qui sont à commencer au bon moment : un livre n'est pas qu'une histoire d'écriture, mais aussi d'état d'esprit. Par trois fois, j'ai commencé les Diaboliques de Barbey d'Aurevilly. Trois échecs cuisants (abandon après 2 pages). Une relégation dans la PAL pour 10 ans environ. La reprise fut un succès, j'ai adoré, j'ai enchaîné avec l'Ensorcelée et le Chevalier des Touches. Autre exemple : le Silmarillon (malgré mon amour vrai pour Tolkien, il requiert une attention de tous les instants que les intercours de la fac n'offrent malheureusement pas. A réserver aux vacances).

- Les livres lents, mais bon : Soseki et Théophile Gauthier sont des spécialistes du genre. Il ne se passe pas grand chose, c'est à la limite de l'ennui, mais c'est cette lenteur même qui fait tout le charme de ces ouvrages. 

- Les "même pas eu le courage d'aller au bout" : je ne suis pas coutumière de l'abandon en cours de route. J'ai longtemps été fort courageuse, à la limite de l'obstination. La maturité aidant (et la lecture des droits du lecteur tels qu'énoncés par Daniel Pennac), j'ai l'abandon déculpabilisé. Le mètre-étalon du genre? le Da Vinci code. Deux essais. Abandon page 121. Pas pu aller plus loin. Désespoir profond face au vide du pitch et envies de meurtre (Dan Brown l'a échappée belle) face au style... comment dire?... exaspérant.

And now, ladies and gentlemen, le top five du pensum :
- Les Chroniques italiennes, de Stendhal. Je sais, c'est mal. Je mérite le supplice du pal. Mais honnêtement, le supplice, ça a été d'en venir à bout. Pourtant, il s'agit d'un chef d'oeuvre officiel, qui avait tout pour me plaire, moi qui aime les auteurs français morts et l'Italie. C'est ma misérable personne qui doit être en cause. Ou pas.

- Passager pour Francfort, d'Agatha Christie. Et là, c'est le drame. Agatha qui m'a déçu. Le post consacré à ce monument érigé à la gloire de l'ennui vous éclairera sur mes motivations. Seule consolation : Agatha échappe finalement à la perfection, c'est rassurant. La perfection, c'est gonflant.

- La Condition humaine. Chez Malraux, j'aime bien les discours aux trémolos émouvants ("eeeennnntre iciiiii, Jeaaaaaannnn Mouliiiiiiinnnnn"). Mais dès que cela dépasse les dix pages... My bad... Le bac de français m'avait obligée à me farcir la voie royale (Dieu bénisse mon prof de français de l'époque, que Malraux rasait autant que moi, et qui avait choisi le roman le plus court, pour abréger nos souffrances). Je me suis infligé volontairement la Condition humaine, me disant qu'un prix Goncourt, ça doit être bien (j'en suis revenue, hein). Le masochisme m'a poussée à le lire jusqu'au bout. Aucun souvenir, à part un ennui profond.

- Tout est sous contrôle. La déception du siècle, moi qui voue un culte sans borne à Hugh Laurie (en Bertie Wooster ou en House, c'est tout pareil, je l'aime). En fait, un livre pas mauvais, mais dans un style un peu trop roman d'espionnage, dont je ne suis pas friande. Un rendez-vous manqué, quoi (mon pôpa, à qui je l'ai prêté, devrait apprécier davantage).

- Gide et Claudel. Sans distinction. Pourtant, j'ai insisté, persévéré, poussé jusqu'au bout. Rien. Sans commentaire, donc.

Voilà, chers amis du potager! Ma réputation de fille de goût est définitivement ruinée. Tant pis. Pour toute réclamation, s'adresser à la Nectarine.

Mademoiselle Potiron