mardi 20 novembre 2012

Stefan Zweig, Chess


Chers Amis du Potager,

Traitez-moi de maso, if you like, mais après l’échec de Marie Stuart, j’ai remis le couvert avec ce bon vieux Stefan (Zweig), grâce à mon ami le Pingouin, qui devait vous manquer, depuis le temps.

Foin des biographies historiques pontifiantes ! Retrouvons notre Autrichien préféré là où il est le meilleur, c’est-à-dire dans la nouvelle, parce qu’il sait, comme peu le savent, tirer parti de la brièveté du texte pour en extraire la substantifique moelle, la tension dramatique, le personnage fort.

Là où Somerset Maugham (qui n’écrit pas que des nouvelles pour dames, n’en déplaise à Alain Souchon) privilégie parfois l’élégance à l’efficacité, chez Zweig, l’élégance de la plume est toujours au service de l’efficacité narrative.

Chess (publié en français sous le titre le Joueur d’échecs) ne fait pas exception à la règle.

Rédigée au cours des quatre derniers mois de la vie du grand homme, elle concentre plusieurs thèmes chers à l’auteur : la passion morbide, la dénonciation du nazisme, l’opposition entre vulgarité et culture.

Sur un paquebot en partance pour l’Argentine, le narrateur s’entend dire par un ami que Mirko Czentovic, l’invaincu champion du monde d’échecs, est à bord. Cet ami entreprend de lui dépeindre la révélation que représente Czentovic, brute épaisse, quasi analphabète, mais douée d’un génie inné pour l’échiquier.

Intrigué par l’arrogance du personnage, curieux cette passion obtuse chez un être aussi fruste, le narrateur entreprend de l’hameçonner avec une petite partie. Il s’installe au salon, commence à jouer seul, puis les spectateurs s’avancent, chacun y va de son conseil, jusqu’à l’organisation de parties acharnées, notamment avec un négociant particulièrement grande gueule.

Pour ne pas trop en dire, signalons simplement que le piège va fonctionner sur Czentovic, mais que la suite va réserver des surprises, et gagner en intensité.

Il s’agit d’un récit très fort, sur l’inné et l’acquis, sur le basculement dans la folie, sur le fait de renoncer à soi pour survivre (Zweig fera le choix inverse) et la difficulté à se retrouver.

Bref, c’est beau, c’est bon, c’est Stefan au mieux de sa forme.

Mademoiselle Potiron

Chess (Schachnovelle), par Stefan ZWEIG, Pinguin Mini-Classics (hiiiii !!!!), 83 pages, 3.90 euros.

Andy Riley, Le Coup du Lapin, tome 2


Chers Amis du Potager,

Un post rapide, en passant, pour vous vanter la dernière merveille de l’humour (très) noir anglais.

Dans le Coup du Lapin, Andy Riley évoque les façons les plus originales et les plus efficaces (du moins l’espère-t-on pour eux) que de mignons petits lapinous trop choupinous ont choisies pour en finir avec la vie.

C’est à hurler de rire (voire à s’en faire pipi dessus, si vous avez la vessie blagueuse) rempli de trouvailles et cela amusera les geeks (et les fans de Tolkien), le tout mettant en scène des lapins d’un flegme absolu envisageant de passer à trépas tel Sénèque dans son bain. Stoïques.

Petit florilège :
-          - Bricoleur : Lapinou s’assoit sur la mèche d’une perceuse. A l’aide d’un bâton, il actionne l’interrupteur sur lequel est branchée la susdite perceuse.
-          - Ami du Mordor : Lapinou verse consciencieusement du poivre dans l’œil de Sauron au sommet de la tour de Barad-dûr.
-          - Gastronome : Lapinou s’installe dans un grille-pain, avant de l’actionner.
-          - Sportif : Lapinou remplace une des quilles de bowling alors que la boule menace de faire un strike.
-          - A la plage : Lapinou joue au jokari avec une grenade en guise de balle en caoutchouc.

Les dessins sont très bien faits, et il n’est pas besoin de légende pour saisir toute l’absurdité de la vie (lapinesque). Un coup de crayon et tout est dit.

Voilà. C’est idiot, certes. Mais l’humour anglais a toujours eu un effet dévastateur sur mon équilibre psychique. Et cela pourrait donner des idées à nos amis australiens chez qui ces charmants lagomorphes font des ravages. J’A-DO-RE !!!

Mademoiselle Potiron

Le Coup du Lapin (3 tomes parus, le premier est apparemment épuisé), par Andy RILEY, éditions Chifflet, 12 euros. Heureusement, une Intégrale est sortie (20,50 euros).

Etienne Klein, Discours sur l'origine de l'univers


Chers Amis du Potager,

Il  y a quelques mois, je vous avais fait part de ma découverte enthousiaste d’Une brève histoire du temps, de Stephen Hawking.

Parce que l’astrophysique fait mon bonheur (que voulez-vous, je ne peux quand même pas n’avoir que les vernis OPI pour passion), et que servir la science fait ma joie, j’ai donc consulté Olivier, qui s’occupe du rayon sciences (de la nature et humaines) chez… Quai des Brumes (bravo pour ceux qui suivent ; je rappelle que je ne suis pas payée pour leur faire de la pub, mais tout simplement qu’un bon libraire, ça se respecte).

Olivier, donc, m’a surprise en plein quart d’heure Marie Curie, et m’a déniché ce Discours sur l’origine de l’univers, d’Etienne Klein, dont j’ignorais tout. Frétillante de joie telle un jack russel devant sa laisse à l’heure de la promenade, je me suis illico penchée sur cet opuscule aussi distrayant qu’instructif.

Etienne Klein, qui n’est pas un perdreau de l’année, mais a travaillé pour le CEA, le CERN, au Laboratoire des recherches sur les Sciences de la Matière, a enseigné à Centrale,  remonte le cours du temps. Non pas jusqu’au Big Bang, qui n’a sans doute jamais existé en tant tel (une singularité clairement identifiable dans le cours du temps et de l’espace, un point zéro défini), mais jusqu’au mur de Planck, quelques instants avant, qu’il tente ensuite d’escalader.

A l’aide de diverses théories qui ont toutes tenté d’unifier la théorie de la gravitation avec les lois quantiques et les trois autres forces de l’univers que sont l’interaction nucléaire faible, l’interaction nucléaire forte et la force électromagnétique, il évoque les divers résultats auxquels ces théories aboutissent.

Et c’est fascinant. Multivers, branes ouvrant la voie aux mondes parallèles (puisque notre univers est après-tout plat comme une limande), rebond, expansion, énergie du vide, super-cordes, boson de Higgs (la it-particule) chacune de ces théories ouvre la porte à d’autres questions. L’univers s’est-il auto-généré ou un élément extérieur a-t-il mis le feu aux poudres il y a 13,7 milliards d’années ? Y avait-il quelque chose d’autre avant ? Ou ailleurs ? Et pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

Bref, un monde sans fin de questionnements, fascinant et ultra-stimulant intellectuellement, même si l’astrophysique est une science éminemment mathématique et que les maths vous donnent de l’urticaire.

Parce qu’en plus, à l’instar de Stephen Hawking, aucune équation (l’hyper-populaire E = mc² n’est qu’à peine effleurée dans une note de bas de page) ne vient hérisser le discours de ses incompréhensibles symboles.

L’écriture est d’ailleurs particulièrement plaisante, et il est à espérer que certains littérateurs prendront exemple sur ce texte scientifique pour améliorer leurs tournures de style. D’autant que pour un sujet aussi velu que celui-là, Etienne Klein a pris soin d’égayer son propos de comparaisons humoristiques. Et d’interpellation du lecteur, destinées à s’assurer que son attention est toujours là, voire de l’aider à raccrocher les wagons de la science.

Bref, de quoi calmer les palpitations de tous ceux qui, comme moi, ont cru halluciner quand les frères Bogdanov ont gentiment expliqué au présent (de narration) de l’indicatif, à la télé, tout ce qui s’était passé AVANT le Big Bang. Si, si. Parce qu’ils y étaient, hein. J’émets d’ailleurs l’hypothèse que leur charmant visage ne soit pas l’œuvre d’un chirurgien esthétique parkinsonien, mais d’une décompression spatiale (oui, oui, comme dans l’épisode x-Files de Castle, pour ceux qui sont intéressés, voir saison 3, épisode 9, parce que la vérité est chez Ricky et non je ne suis pas obsessionnelle).

Mademoiselle Potiron

Discours sur l’origine de l’univers, par Etienne KLEIN, Flammarion, collection Champs Sciences, 182 pages à dévorer, 6 euros d’intelligence

Alix de Saint-André, L'ange et le réservoir de liquide à freins


Chers Amis du Potager,

Pour changer du polar à képi, voici un polar à cornette, chaudement recommandé un soir de pluie et de déprime par une pétulante Sylvie (Quai des Brumes, of course).

Cornette ? Voui, voui. Il s’agit d’un polar ecclésiastique. Ceux qui me connaissent bien ne manqueront pas de lever un sourcil intrigué, voire inquiet. Il faut dire que la chose religieuse me laisse d’ordinaire mollement indifférente (que voulez-vous, je sers la science et c’est ma joie).

Replaçons-nous donc dans le contexte. 1970. Vatican II vient de bouleverser la messe dominicale, en passant du latin au français et d’un curé tourné vers l’autel à un curé qui n’a plus l’air de faire  la gueule aux fidèles. On découvre les joies de l’œcuménisme. Les bonnes sœurs ne sont plus contraintes de se couvrir de voiles immenses, tendance Sœur Marie Cruchotte pour ceux qui ont une culture cinématographique (ahem). Libéralisation et modernité sont donc de mise à l’église (avec retenue, hein, on est à l’église, pas à un concert de Lady Gaga).

C’est à cette époque qu’à un carrefour du bord de Loire, en aval de Saumur (charmante région au demeurant, où goûter la douceur angevine), la deux-chevaux de mère Adélaïde s’empale sur une borne Michelin. Une blessée (Mère Adélaïde) et une décédée (sœur Marie-Claire). A priori, un regrettable accident, même si les circonstances sont suffisamment troubles pour titiller l’imagination de Stella, jeune fille de 13 ans, demi-pensionnaire au collège privé tenu de main de maître par Mère Adélaïde et voisine du lieu du drame.

Avec sa copine Hélène, la pimpante Stella va se mettre en tête de démasquer l’assassin de sœur Marie-Claire. Parce qu’il s’agit forcément d’un meurtre. Les suspects sont légion (communistes, francs-maçons, et autres mécréants) et l’enquête n’est pas simple à mener, lorsqu’il s’agit de jongler entre les impératifs scolaires et les impératifs judiciaires.

C’est que les choses vont rapidement s’emballer au pensionnat…

Alors, disons que ce roman cumulait les handicaps, me concernant : polar français (argh…) d’un auteur français (re-argh…) pas encore mort (re-re-argh…). Voici qui eût dû sceller le sort du roman d’Alix de Saint-André.

Sauf que.

Sauf que c’est diablement drôle, très bien ficelé, et que l’idée du complot crypto-ecclésiastique est une trouvaille exploitée comme il faut. A mille lieues du ridicule Da Vinci Code, Stella et Hélène mènent l’enquête comme seules les héroïnes des premiers romans d’Agatha Christie savent la mener (avec énergie et débrouillardise), faisant fi des heures de colles et des cours de gym.

Le tableau du petit monde du pensionnat, avec ses sœurs branlantes de vieillesse, mais l’œil encore vif, ses ambitions, ses querelles de clocher (pour le coup…), ses gueguerres intestines, ses règles psychorigides et ses élèves authentiques, est parfait. Et je ne vous parle pas de la description de la petite bourgeoisie de province (ah, le dîner de pâques dans la famille du croquemort !). C’est sarcastique, caustique, tendre parfois, et dominé par la figure autoritaire de Mère Adélaïde (surnommée Belphégor, pour vous planter le décor).

On se laisse prendre, tant par l’intrigue (une fois encore bien ficelée) que par la tendresse que l’on éprouve pour nos Sherlock en socquettes, futées et roublardes.

Mademoiselle Potiron

L’Ange et le réservoir de liquide à freins, par Alix de SAINT-ANDRE, Folio Policier, 342 pages, 7.50 euros.