samedi 17 septembre 2011

Freeman Wills Crofts, Le Tonneau

Chers Amis du Potager,

Le Tonneau. Un titre énigmatique, et assez peu glamour. Pourtant c’est avec conviction qu’Arnaud, mon gentil libraire pourtant spécialiste du polar déjanté, m’a chaudement recommandé ce grand classique du roman policier sérieux et de bonne facture. Comme chez moi, recommandé signifie adopté, j’ai donc intégré le Tonneau à ma PAL. Où il a végété près d’un an. Autant dire que cela partait mal. Et pourtant…

Printemps 1912, sur les Docks Sainte Katherine, à Londres, la chute d’un tonneau lors de son transbordement va entraîner de lourdes conséquences. Parce que ce tonneau est d’une conception toute particulière (plus lourd, plus épais que les tonneaux à vin, car destiné à transporter des œuvres d’art), parce qu’une brèche dans l’une de ses douves laisse échapper, au milieu de la sciure, des souverains, et parce que les employés intrigués aperçoivent une main à l’intérieur, dont ils ont la conviction qu’elle appartient à un cadavre.

Ajouter à cela un mystérieux homme qui parvient à subtiliser le tonneau, grâce à un stratagème élaboré, et vous avez le début d’une très bonne intrigue : où a bien pu disparaître le tonneau ? Y avait-il réellement un cadavre à l’intérieur, ou la main aperçue peut-elle être celle d’une statue ? Si cadavre il y a, comme l’inspecteur Burnley en a la conviction, qui est la victime ? Qui a bien pu la tuer ? Et pourquoi choisir de l’expédier dans un tonneau ?

A ce propos, je tiens à lancer un avertissement formel : si vous avez l’intention de vous régaler avec ce très grand roman, resté inédit en France pendant de longues années, je vous supplie de ne pas lire la 4e de couverture ! Elle dévoile des éléments accessibles au lecteur uniquement vers la moitié du livre (sur 500 pages, vous avouerez que tout savoir tout de suite, c’est moche).

Si mon résumé ne vous a pas convaincus, sachez que l’auteur, Freeman Wills Crofts, Irlandais bon teint, était membre du Detective Club, où il rencontrait, entre autre Agatha Christie et Dorothy L. Sayers, est considéré comme un membre éminent de l’âge d’or de la fiction à détective (traduction foireuse by myself du Golden Age of Detective Fiction).

C’est donc du classique whodunit, certes, dans sa progression narrative (élément perturbateur de base, ici le tonneau, enquête minutieuse, résolution), comme dans ses méthodes (recueil des indices loupe à la main, interrogatoires, contre-interrogatoires, analyse des emplois du temps,…), le tout mené par un inspecteur chevronné et respecté (en l’espèce l’inspecteur Burnley).

Mais le classicisme ne doit pas faire oublier que nous avons là affaire à un chef d’œuvre de la littérature policière britannique.

J’ai déjà évoqué les 500 pages de ce roman. Rassurez-vous, elles glissent toutes seules, tant le style est agréable, alternant description soignée et dialogues bien rythmés. On y sent d’ailleurs un certain engouement pour les nouvelles technologies (de l’époque) : téléphone, automobile, train. Le train tient d’ailleurs une place prépondérante dans cette histoire, ce qui n’a pas été sans rappeler Tokyo Express, publié en 1958 par Seichō Matsumoto. Et certaines scènes parisiennes évoquent immanquablement les grandes heures du Commissaire Maigret. Et le final m’a remis en tête le délicieux Crime à Black Dudley de Margery Allingham. Et pourtant tout y est original.

En bref, il serait dommage de passer à côté de ce roman, déjà honteusement abandonné par les éditeurs français pendant des décennies. Parce qu’un vulgaire tonneau vous fera voyager, frissonner, réfléchir, renifler la piste, et parce que Crofts le vaut bien.

Mademoiselle Potiron

Le Tonneau (The Cask), par Freeman Wills CROFTS, Rivages/Noir 500 pages, 10,50 euros

Le Livre sans nom

Chers Amis du Potager,

Dans une ville d’Amérique du sud, Santa Mondega (à vrai dire, question localisation, c’est assez flou), où la délinquance est reine et où les flics sont soit corrompus, soit mous du genou, Sanchez tient un bar, au doux nom de Tapioca. Le bar le plus mal famé de la ville. Le bar où, voilà cinq ans, le Bourbon Kid a fait irruption, a commandé un verre de bourbon (d’où son surnom), avant de faire un véritable carnage dans la ville. 

Seuls rescapés de la tuerie : la belle Jessica, depuis plongée dans le coma et Sanchez qui, une fois sorti de derrière son bar où il s’était planqué pendant que les balles volaient, a confié la blessée à sa belle-sœur, infirmière, et à son frère.

Depuis, entre les caïds locaux, un inspecteur qui voit la main du Kid dans tous les crimes et délits commis dans la ville, et les chasseurs de prime, la vie suivait son cours.

Jusqu’à ce que deux moines débarquent d’une île-monastère située au large de la côte, et dont tous les frères, à l’exception de l’abbé, ont été massacrés. Ces deux garçons, Kyle et Peto, moitié moines shaolin (la tenue orangée et un don certain pour les arts martiaux), moitié angelots (ignorants du vice, des femmes, de l’alcool, n’ayant jamais vu un dollar de leur vie) ont pour mission de récupérer à tout prix une pierre sacrée, le fameux « Œil de la Lune ».

Cette arrivée, conjuguée à l’imminence d’une éclipse totale de soleil, coïncidant avec un jour de carnaval débridé, au réveil soudain de Jessica, à des meurtres sordides commis à travers la ville, font craindre le pire à Sanchez.

Et objectivement, il n’a pas tord.

Et le livre sans nom, me direz-vous ? Si vous ne lisez pas la 4e de couverture, trop bavarde, il conservera son mystère pendant longtemps. Et comme le mystère, c’est chouette, je ne vous en dirai rien. Gnark, gnark, gnark. Z’avez qu’à lire. Non mais.

Voilà pour l’histoire. Mais ce livre sans nom, ça vaut quoi, au juste ?

Tout d’abord, quelques précisions. Le livre sans nom, dont l’auteur a préféré conservé l’anonymat, a d’abord été publié sur Internet. Pour l’auteur, les paris vont bon train, Quentin Tarantino faisant partie des suspects potentiels (le côté Kill Bill avec sang qui gicle et cadavres bien amochés, quoique dans des postures… originales, y est sans doute pour quelque chose).

En passant, juste un petit conseil pour les amateurs de réalisme scandinave et pluvieux, il faudra aller voir ailleurs. Le Livre sans nom n’est pas un roman-reportage, loin de là. Sauf à considérer que From Dusk till Dawn, avec le même Tarantino, est un reportage sur les vacances en camping-car. D’ailleurs, certaines scènes du film trouvent un écho dans le Livre sans Nom (non, je n’ai pas spoilé, j’ai alludé. Na).

Pour ce qui est du style, c’est très rythmé, les 65 brefs chapitres s’enchaînent sans temps mort. C’est également très drôle, même si l’histoire, de prime abord, ne le laissait pas présager. Cet humour omniprésent est, pour beaucoup, dû aux personnages qui hantent Santa Mondega. Outre Sanchez le revêche et nos deux Bruce Lee à chapelet, on trouve un flic du paranormal (Fox Mulder, sors de ce corps), un Elvis tueur à gage (avec banane, coutume à paillettes, grosses lunettes, et tout, et tout), un voyou surnommé « la Fouine » (et bien plus bête que le mustélidé du même nom), la main armée de Dieu (rien que ça, et catcheur à ses heures). Entre autres.

Enfin, je rappelle que le Livre sans Nom est l’unique façon de visiter la charmante bourgade de Sante Mondega sans se prendre un pruneau dans le cornet. Profitez-en donc !

Mademoiselle Potiron
Le Livre sans nom, Livre de Poche 509 pages, 7,50 euros

Stanislas-André Steeman, L'Assassin habite au 21

Chers Amis du Potager,

Voici un roman policier, dans la plus pure tradition du genre.

A Londres, dans le brouillard qui règne sur la ville, un mystérieux assassin trucide à tour de bras, et abandonne sur le cadavre encore chaud de ses victimes une carte de visite, portant ces simples mots : « Monsieur Smith ». D’autant plus mystérieux que cet individu paraît à chaque fois s’évaporer littéralement dans la brume. La minute d’avant, rien de signale sa présence, la minute d’après, à peine une ombre furtive. Entre les deux, un meurtre.

Pourtant un petit malfrat l’a aperçu. Pas suffisamment pour l’identifier, non, mais assez pour savoir dans quelle maison il est entré, pour ne plus sortir : une pension de famille, installée au 21 Russel Square, tenue par Mrs. Hobson.

Un peu faible, sans doute. Mais quand Monsieur Julie, professeur au Collège de France et nouveau venu à la pension, que la police approche pour en faire son indic, est retrouvé assassiné dans la maison, le doute n’est plus permis.

L’inspecteur Strickland investit donc ladite pension, et passe au crible chacun de ses locataires, dont le moindre comportement, analysé à la loupe, s’avère troublant.

Il y a là un médecin, un représentant de commerce bègue, un immigré Russe, un prestidigitateur hindou, un ancien de l’armée des Indes. Chacun prend un malin plaisir à incriminer ses voisins de palier, à coup de petits détails qui les chiffonnent.

La narration est extrêmement plaisante, le style agréable. Dans mon souvenir, les dialogues étaient plus percutants dans le film d’Henri-Georges Clouzot, adaptation du roman, mais il se trouve que ce dernier a remanié les dialogues, en y ajoutant une pointe d’humour canaille absente du livre (notamment entre Pierre Fresnais et Suzy Delair).

Quoiqu’il en soit, ce court roman est un chef d’œuvre, pour au moins deux raisons. Si l’astuce employée par Monsieur Smith n’est pas neuve (Agatha Christie l’avait déjà utilisée), elle n’en demeure pas moins parfaitement originale quant à la méthode d’élimination successive des suspects.

En outre, Stanislas-André Steeman, qui en bon Belge aime la plaisanterie, a cru bon d’inviter le lecteur, à la fin du roman, à tirer ses propres conclusions, sur le ton du : « vous en savez autant que moi, concluez donc à ma place ». Cet intermède tout à fait insolite (la réponse à l’énigme est malgré tout exposée à la fin) fait un peu l’impression d’une farce, mais place finalement le lecteur de roman policier face à ses responsabilités. Car, en général, si on lit des romans policiers, c’est (aussi) pour se mettre à la place de l’enquêteur et découvrir qui a fait le coup. Ben là, au moins, c’est dit.

Pour en revenir au film de Clouzot, je vous le conseille hardiment. L’action est transposée de Londres à Paris, Strickland devient Wens, et Monsieur Smith est traduit en Monsieur Durand. Mais cette adaptation a un charme fou, fait rire et frissonner tout à la foi.

Mademoiselle Potiron

L'Assassin habite au 21, par Stanislas-André Steeman, Livre de Poche  187 pages, 4,50 euros

Pénélope Bagieu, Joséphine, tome 2

Chers Amis du Potager,

Un petit post rapide, pour causer un peu bande dessinée.

Bien que je ne sois pas une BD-addict (manga, oui. BD, hormis Astérix, Tintin et Gaston Lagaffe, je suis un peu limitée. Ah, il y a aussi l’agent 212. C’est chouette l’Agent 212. Comment ça, on ne connaît pas ce monument de belgitude ? Ts-ts-ts… Toute une éducation à refaire… Bon, où en étais-je ?... Ah oui…), j’avoue que j’aime bien les dessins de Pénélope Bagieu.

Il faut dire que, outre un graphisme sympa comme tout, ses personnages de trentenaires gaffeuses et un peu loseuses sur les bords sont très attachants et très drôles. Pour en découvrir un aperçu sans bourse délier, vous pouvez aller voir le blog de Pénélope, justement intitulé Pénélope Jolicoeur.

Après avoir publié Ma vie est tout à fait fascinante, puis Joséphine, tome 1, Pénélope récidive avec le tome 2 de Joséphine, sous titré « même pas mal ». Tout un programme, vous en conviendrez.

Il se trouve donc que Joséphine est une jolie trentenaire aux hanches plutôt larges, célibataire avec un chat (baptisé Bradpitt), avec des copines, avec une famille (une sœur franchement « relou » et des neveux teigneux) à la recherche de l’homme idéal. Ce n’est pas gagné-gagné, parce que ladite Joséphine est franchement du genre gaffeuse et « pieds-dans-le-plat ».

Dans ce volume, Joséphine rencontre un charmant garçon. Le problème ? Il est un tout petit peu marié…

C’est frais, c’est drôle, c’est très vrai aussi. Le coup de crayon est très habile, c’est un dessin moderne, sans être bâclé (loin de là), et ceux qui râlent contre les Parisiennes branchouilles se sentiront solidaires de Joséphine et de sa culotte de cheval.

Et je rassure les allergiques au rose bonbon. Si Joséphine est une bande dessinée de fille (pour les filles), ce n’est pas dégoulinant de girly pour autant. Et c’est tant mieux, parce que moi, le dégoulinant de girly, ben, c’est me ballonne (This pen for hire a failli être abandonné comme une vieille chaussette sur l’étagère de la librairie, jusqu’à ce que ma gentille libraire adorée ne me fasse remarquer la tête de mort dessinée dans la buée du miroir).

Pour vous dire le haut niveau culturel de Pénélope, elle a carrément chroniqué le Festival de Cannes pour Arte (toujours disponible sur le site de la chaîne, faut juste faire une petite recherche). Un must. 

Mademoiselle Potiron

Joséphine 2. Même pas mal, par Pénélope BAGIEU, Livre de poche, 5,5 euros

jeudi 8 septembre 2011

P.G. Wodehouse, Big-money, Sous Pression et Webster le Chat

Chers Amis du Potager,

Les éditions Joëlle Losfeld, qui avaient déjà sévi en publiant au format poche le Doyen du Club-House, récidivent en publiant également trois autres romans ou nouvelles de PG Wodehouse.

Tout d’abord, la nouvelle Webster le Chat. Lancelot est un jeune homme bohême, paresseux et aux mœurs bien peu convenables pour son vicaire de tonton. Pourtant, quand le saint homme est envoyé professer la bonne parole en Afrique, c’est à Lancelot qu’il confie son minet chéri, Webster. Seulement voilà, Webster, énorme matou bien pensant, majestueux et méprisant, se met à froncer les moustaches de dégoût devant le comportement de Lancelot. Et c’est là que les ennuis commencent pour le brave garçon.

Dans Big Money, Beresford « Berry » Conway et son copain Biscuit (Lord Bickerton pour l’Etat-Civil) espèrent tirer quelques sous de la vente d’une mine de cuivre au filon épuisé, que Berry a hérité de sa tantine. En outre, son patron, un riche américain acariâtre et cupide, voit débarquer sur le sol anglais sa charmante nièce, que les prétendants new-yorkais ennuient à mourir. Berry propose la mère de Biscuit comme chaperon pour la jeune demoiselle.

Très vite, entre les magouilles financières, les truanderies diverses, les idées fantasques de Biscuit, les demoiselles virevoltantes auxquels nos comparses peinent à résister, une équipe de malfrats, un vieux lord, une bonne à tout faire qui, en souvenir du temps où elle était sa nounou, impose à Berry des gilets de flanelle, on perd un peu les pédales (comme Berry et Biscuit, d’ailleurs) et on se demande bien comment ils vont bien pouvoir se sortir de cette histoire, sans y laisser des plumes.

Sous Pression est également un embrouillamini sans nom. Wellington Gedge s’est installé dans un château normand, où il ne rêve que de retrouver sa Californie natale. Son épouse, elle, vaut faire de lui l’ambassadeur des Etats-Unis en France. Pour cela, elle lui intime l’ordre de frotter dans le sens du poil le « prohibitionniste » sénateur Opal, qui doit venir séjourner au Château. Une équipe de monte-en-l’air, malheureux en amour, a prévu de faire main basse sur les bijoux de Mrs Gedge, le fiancé de Miss Opal est contraint de jouer les valets de chambre. Au milieu de tout cela, Patrick "Packy" Franklyn, jeune homme charmant, se dévoue pour arranger les affaires de la jolie Jane Opal avec son Blair Eggleston de fiancé-poète-majordome.

Le côté alambiqué des intrigues ne doit pas déstabiliser : c’est fouillis, dit comme ça, mais c’est justement ce qui fait le charme de ces histoires, où les rebondissements sont nombreux. Trois ou quatre décors, des personnages qui entrent et sortent du tableau, du burlesque, de la bagarre, des histoires d’amour, des dialogues enlevés,… Ces romans sont conçus comme des pièces de théâtre, et il serait dommage de s’en priver.

C’est particulièrement criant dans Sous pression, où les quiproquos pullulent, où les identités sont échangées, où les personnages opérant sous couverture (comme le fiancé poète déguisé en majordome) sont légion, où les conversations sont espionnées à travers les buissons ou les trous de serrure. Chacun joue un double, voire triple, jeu.

Pour le coup, c’est très « tagada-tsoin-tsoin », et les fans de l’humour anglais seront servis.

Mademoiselle Potiron

Webster le Chat (the Story of Webster - 61 pages),  Big-Money (Big-Money - 266 pages), Sous Pression (Hot Water - 324 pages), par Pelham Grenville WODEHOUSE, Joëlle Losfeld, 5 euros pièce

P.G. Wodehouse, Courtes histoires de green, et le Doyen du Club-House

Chers Amis du Potager,

Les deux ouvrages ici présentés sont construits sur le même schéma, le personnage principal, le Doyen du Club-House, étant le même.

A chaque nouvelle, un jeune homme ou une jeune fille font une remarque sur leur jeu au golf,  pestent contre une déception amoureuse ou cherchent une connaissance égarée. Manque de chance, leurs exclamations se font toujours en présence du Doyen, qui saisi l’occasion de raconter une longue anecdote devant résoudre les problèmes susmentionnés.

S’en suit généralement une vaine tentative de la jeunesse pour échapper aux « radotages du vieux », lequel, imperturbable, ne relâche sa proie qu’une fois son histoire débitée de bout en bout. Les jeunes gens n’ont donc d’autre choix que de prendre leur mal en patience en soupirant, tout en sachant qu’au final, le Doyen aura peut-être trouvé une solution ou relativisé le problème rencontré.

Comme toujours chez Wodehouse, les jeunes filles sont énergiques, pimpantes, tombant parfois amoureuses de personnages peu à leur hauteur (généralement un écrivain à la mode, fadasse mais persuadé de son propre génie), au grand désespoir de l’amoureux transi de toujours (généralement l’ami d’enfance gentil mais peu cultivé) qu’une timidité maladive a empêché de se déclarer. Les jeunes hommes sont donc plutôt mous du genou, maladroits, effrayés par ses amazones.

Il faut dire que la plupart des romans et nouvelles de Wodehouse ont pour cadre les années 20 ou 30, période qui correspond aux débuts de l’émancipation féminine et nos héros, pourtant bons gars par ailleurs, n’ont pas été éduqués dans cette perspective qui les affole.

Les personnages féminins, chez Wodehouse, ont d’ailleurs généralement plus de relief et de caractère que les personnages masculins. Ce sont des filles et des femmes intelligentes, fortes, conscientes de leur valeur et exigeantes, à qui seul l’amour peut momentanément faire perdre un peu la tête.

Quand elles ont atteint un certain âge, elles deviennent les redoutables « tantes », tyranniques jusque dans leur affection, tonitruantes matrones, prêtes à débusquer la moindre faiblesse (or nos jeunes hommes sont fort pourvus en faiblesses) et à en tirer profit (Wodehouse avait d’ailleurs intitulé un de ses romans mettant en scène le génial Jeeves « Aunts aren’t gentlemen »).

Et le golf, dans tout ça, me direz-vous ?

Chacune des histoires tourne autour du parcours, se déroule sur un green, met en présence des amateurs farouches du golf avec des personnes que ce jeu laisse totalement indifférents (d’où des conflits et querelles), des tournois, des coups qui finissent dans le lac du 7e trou (ou le bunker du 14e) et des balles perdues.

Mais, en réalité, si Wodehouse était fan de golf, ce sport n’est en réalité qu’un décor, et un alibi pour laisser libre court à ses histoires de mœurs, d’amour et d’amitiés, enjouées comme des vaudevilles.

Même pour les non-amateurs, c’est très drôle, la plume incisive de ce bon vieux Pelham Grenville faisant merveille, comme toujours. C’est également très instructif, et peut constituer une bonne initiation burlesque à cet art difficile et ancestral. Pour les inquiets, sachez que chacun des ouvrages ici présenté est agrémenté d’un lexique bienvenu, qui ne vous laissera pas au milieu du rough du vocabulaire golfique. 

Mademoiselle Potiron
Courtes histoires de green (the Heart of a goof, éditions Michel de Maule, 293 pages, 22 euros) et le Doyen du Club-house (the Clicking of Cuthbert and other golf stories - Editions Joëlle Losfeld, 209 pages, 5 euros), par Pelham Grenville WODEHOUSE

lundi 5 septembre 2011

Claude Lévi-Strauss, L'Anthropologie face aux problèmes du monde moderne et L'Autre face de la lune

Chers Amis du Potager,

J’ai un (nouvel) aveu à faire. J’aime Claude Lévi-Strauss. Comme disait Mel Gibson (le Mel d’avant, hein) à propos de Sigourney Weaver, « l’intelligence, c’est sexy ». Ce qui colle parfaitement à mon anthropologue préféré.

A mille lieues des pseudo-intellectuels persuadés qu’un salmigondis émaillé de mots savants de plus de huit syllabes suffira à combler le vide de leur pensée, Claude n’a pas oublié les préceptes de Boileau, conçoit bien et énonce clairement.

C’est d’ailleurs rassurant de constater qu’un des plus grands penseurs de sa génération prend la peine d’exposer ses théories dans une belle langue, précise et lumineuse. Pas bégueule, quoi.

J’aime également les éditions du Seuil pour leurs publications scientifiques de vulgarisation. Grâce à mon amie Michèle, grande physicienne qui a vainement tenté de me faire comprendre, à moi, les proportions stoechiométriques (sans grand succès, malgré des années d’efforts… Désolée, Mimi) et qui n’a jamais désespéré de m’inculquer une certaine culture scientifique, j’ai ainsi découvert les œuvres d’Edouard Launet, les hilarants « Au fond du labo à gauche » (consacré aux expériences les plus farfelues, parfois récompensées d’un IG Nobel) et « Viande froide cornichons » (consacré… à la médecine légale), que le Seuil diffuse sans vergogne.

C’est donc avec joie que j’ai envisagé l’édition par le Seuil (ben, oui, quoi, faut suivre) de deux ouvrages de Lévi-Strauss : l’Anthropologie face aux problèmes du monde moderne, et l’Autre face de la lune, sous-titré Ecrits sur le Japon.

Ces deux courts recueils de conférences font un bien fou. Parce qu’il replace l’homme (et la femme) dans une perspective mondiale, loin du nombrilisme occidental, Lévi-Strauss offre des pistes de raisonnement, ouvre de nouvelles perspectives face aux difficultés née de la modernité de notre époque, de ses capacités scientifiques et aux problèmes de bioéthique.

Dans une réflexion détaillée sur la perception juridique, biologique et sociale de la parentalité (un de ses dadas), il sort la filiation de l’écueil de la vérité génétique, ouvrant la voie à d’autres représentations familiales, où hommes et femmes confondent leurs rôles traditionnels, où la famille offre des contours mouvants, symboliques, où les liens tissés par les enfants sont maintenus par-delà les statuts sociaux.

L’amour de Lévi-Strauss pour le Japon, déjà évoqué dans l’Anthropologie face aux problèmes du monde moderne, apparaît au grand jour dans l’Autre face de la Lune. Amour de jeunesse, puisque que Raymond Lévi-Strauss offrait au jeune Claude encore enfant, en guise de récompense, des estampes japonaises qui fascinaient son fils.

S’en est suivie une passion constante, même si lointaine, puisque l’anthropologue, qui avait déjà parcouru le monde, n’a posé le pied sur l’archipel qu’en 1977, à près de soixante-dix ans. Ses réflexions sur le dynamisme de ce pays, sa culture, son appréhension par les occidentaux (notamment l’apport de Ruth Benedict, auteure du Chrysanthème et le Sabre, à la politique d’occupation américaine – critique à venir !) sont passionnantes et révèle une personnalité curieuse, érudite et humble.

Je vous recommande donc chaudement ces deux ouvrages, même si les sciences humaines ne sont pas votre tasse de thé (matcha).

Mademoiselle Potiron 

L'Anthropologie face aux problèmes du monde moderne, et L'Autre face de la lune (écrits sur le Japon), par Claude LEVI-STRAUSS, Le Seuil, collection La Librairie du XXIe siècle, 146 pages pour 14,50 euros, et 181 pages pour 17,50 euros

Gillian Flynn, les Lieux sombres

Chers Amis du Potager,

Libby Day, alors qu’elle n’était qu’une petite fille, a vu sa mère et ses deux sœurs massacrées par une froide nuit de janvier. Le tueur ? Libby en a attesté au tribunal, c’est son grand frère, Ben. Récupérée par sa tante Diane, Libby, enfant asociale et pas aimable, a bénéficié de l’élan de générosité propre à ce type de drame : une collecte à travers tout le pays pour la pauvre petite orpheline Day.

Seulement voilà. Ce confortable pécule, dont la source s’est tarie aussitôt que d’autres gamines se sont trouvées dans sa situation, s’est lui-même effiloché au fil des ans. Aujourd’hui, Libby n’a presque plus un rond. Aussi quand une association underground de fans de serials killers et autres tueurs fous la contacte pour recueillir ses souvenirs, en contrepartie d’espèces sonnantes et trébuchantes, elle profite de l’occasion. Sans enthousiasme.

Pourtant, l’association qui la contacte à une particularité : ses membres, pour la plupart des femmes, sont convaincus de l’innocence de Ben. A laquelle Libby ne croit absolument pas. Elle n’a d’ailleurs jamais revu son frère depuis le procès, et s’en porte aussi bien comme ça.

Mais pour toucher l’argent, il va falloir remonter le fil de l’enquête, rencontrer Ben et d’autres fantômes du passé. En clair, aller fouiner dans les lieux sombres de sa mémoire.

C’est une étrange histoire, que Gillian Flynn nous conte ici (son « Sur ma peau » était déjà une merveille). Libby progresse dans son passé, à reculons et à contrecœur, découvre une réalité qu’elle percevait déjà enfant, mais qui prend tout son sens à l’écoute des témoins et des souvenirs qui resurgissent, attisant sa colère.

Le récit a en outre l’avantage d’être polyphonique. Les chapitres alternent, chacun centré sur un personnage.

Car à l’histoire de Libby, aujourd’hui, s’ajoute la chronique, quasi minute par minute de la fameuse journée ayant abouti aux meurtres, vues par les deux personnages principaux : Ben, quinze ans à l’époque, ado mal dans sa peau, écorché vif, incompris, humilié, s’entourant d’amis peu fréquentables, qui voit les problèmes s’amonceler sur sa personne, et la mère, Patty, abandonnée par un mari violent et alcoolique, ruinée, dépassée par sa progéniture, mais qui tente tant bien que mal de maintenir debout les quatre murs de sa ferme paumée au milieu d’un Middle West sans avenir.

Et l’on assiste, impuissants, à la mise en place inéluctable de la catastrophe, à chaque minute de cette journée, qui avait mal commencé, et qui s’est terminée dans le drame.

Très vite, les pistes sont multiples, les suspectes pléthores, et, comme on n’est pas à Bisouville, Ben en fait naturellement partie. On découvre une Amérique rongée par la crise, l’alcool et les drogues, hypocrite, violente, malsaine, où le fric est roi tant qu’on en a. Jusqu’à Libby qui n’a rien d’une pauvre petite chose fragile, parce qu’elle est menteuse, voleuse, paresseuse, cupide. Et qu’un passé traumatique n’excuse pas tout (passé traumatique qui est la marque de fabrique des héroïnes de Gillian Flynn, Camille, de « Sur ma peau », se scarifiant régulièrement, d’où le titre et la superbe couverture au Livre de Poche).

Et parce qu’une atmosphère aussi plombée aurait pu paraître indigeste, au-delà de la qualité de la trame narrative, le style corrosif, l’humour noir allègent l’ensemble pour en faire un roman palpitant.

Gillian Flynn est décidément bien une valeur sûre du nouveau roman noir américain.

Mademoiselle Potiron
Les Lieux Sombres (Dark Places), par Gillian FLYNN, Livre de Poche Policier, 506 pages, 7,50 euros