Chers Amis du Potager,
Comment occuper ses loisirs lorsque l’on est diplômé d’Oxford, et que l’on vient d’achever une thèse doctorale ayant pour titre « Changing scientific concepts of nature in the English novel, 1850-1920 » ?
Cela va de soi : en s’engageant dans la jungle de Bornéo, plus précisément du Sarawak, pour y faire l’ascension d’une montagne non répertoriée sur les cartes (une des dernières terrae incognitae du début des années 80 d’avant la révolution satellitaire), dans l’espoir d’apercevoir un hypothétique rhinocéros de Sumatra, espèce endémique.
Pour cela, Redmond O’Hanlon, ledit érudit, enrôle son pote le poète James Fenton, dont le crâne chauve abrite davantage d’extraits de W.H. Auden, que du manuel des castors juniors.
Après un entraînement expéditif assuré par les SAS, qui leur ont gentiment fourni le matériel indispensable (antifongique, hamac aux innombrables suspentes, comprimés purificateurs d’eau, pilules pour divers maux, surtout intestinaux et fébriles, entre autres), nos deux compères débarquent à Bornéo, s’adjoignent les services de deux indigènes Dayaks (à l’anglais approximatif et à l’irrévérence joyeuse), ainsi que de leur chef, et entreprennent de remonter une capricieuse rivière pour atteindre la montagne en question.
Inutile de dire que le régime riz gluant-poisson bourré d’arêtes va vite agacer nos aventuriers, qui essaieront d’autres innovations culinaires (pas toujours des réussites), que les insectes pullulant les inciteront à se pulvériser régulièrement du répulsif (surtout dans le pantalon, si vous voyez ce que je veux dire), ledit répulsif étant nettoyé à chaque plongée dans la rivière (de plus en plus fréquentes à mesure que le cours d’eau s’étrécit et se change en succession de rapides, dans lesquels James manquera fort flegmatiquement de se noyer), que les sangsues ne sont pas des êtres sympathiques lorsqu’il vous en grimpe une dizaine (au moins) sur chaque jambe.
Leur humour est inébranlable, tout comme leur calme (James Fenton doit être la seule personne à avoir lu les Misérables dans une pirogue en pleine brousse, des papillons posés sur son chapeau). Et il faut dire que ces qualités leur seront utiles lors de leurs rencontres avec les populations locales Ibans vivant dans de « longues maisons », aux mœurs légères et aux banquets très arrosés, aux costumes rituels peu pratiques et à la curiosité sans fond (dont une volonté farouche d’apprendre à danser le disco, ce que ni Redmond ni James ne sont en mesure de leur enseigner).
Malgré les avanies de leur périple, Redmond conserve une curiosité bienveillante de chaque instant pour les beautés de la faune et de la flore locales, son exemplaire du Smythies (Birds of Borneo) toujours à portée de main.
Et se trouve confronté à la fragilité des populations locales, qui tentent de préserver leurs coutumes ancestrales, tout en étant à la merci du moindre bobo (la plus petite blessure peut finir en septicémie sous les tropiques) car loin de tout centre médical, même rudimentaire. Nos deux Anglais procéderont d’ailleurs à quelques consultations, distribuant antibiotiques, antiseptiques et antalgiques aux locaux venus exposés leurs blessures et maladies.
Un revigorant récit de voyage, drôle mais dense, qui permet d’ouvrir les yeux sur un monde perdu.
Mademoiselle Potiron
Au cœur de Bornéo (In the Heart of Borneo), par Redmond O’HANLON, Petite Bibliothèque Payot, 315 pages, 9 euros
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