L’effacée narratrice, dont nous ignorerons jusqu’au bout le nom (c’est dire son effacement), est la demoiselle de compagnie de la tyrannique et vulgaire Mrs Van Hopper lorsqu’elle rencontre, à Monte Carlo, Maxim de Winter. Très vite, la jeune fille tombe amoureuse de cet homme distingué, plus âgé, qu’on dit brisé par le récent décès de son épouse, la belle Rebecca, morte noyée alors qu’elle était partie canoter. Pourtant, à la surprise générale et à la suite d’un concours de circonstances, Maxim propose à la narratrice de l’épouser.
Sa jeune épouse, terne, timide et manquant terriblement de confiance en elle, regagne donc avec lui son domaine anglais, où elle se retrouve très vite écrasée par deux personnalités : la toute-puissante Mrs Danvers, la gouvernante follement attachée à Rebecca, qui est prête à toute les mesquineries, et Manderley, le domaine des Winter, majestueuse demeure modelée par Rebecca, doté d’une identité propre, que, dès le premier chapitre, on devine malsaine.
Et par-dessus tout, c’est Rebecca, morte mais omniprésente, qui domine, toujours belle, toujours forte, toujours intelligente, toujours présente dans la mémoire de chacun, au grand dam de la maladroite nouvelle Madame de Winter, qui peine à comprendre pourquoi Maxim a bien pu la choisir, elle, pour remplacer la flamboyante défunte.
Il faudra un nouveau drame, pour que la narratrice comprenne enfin.
Alors, j’avoue, j’ai passé le début du roman à pester contre cette falote narratrice, que j’avais envie de secouer comme un prunier, en lui hurlant « mais, bon sang, ressaisis-toi ! ». Il faut dire que mon caractère est plus proche de celui de Beatrice Lacy, la sœur de Maxim, que de la nouvelle Madame de Winter (ceux qui ont lu ou liront le livre comprendront).
Pourtant, j’admets que se ressaisir ne doit pas être facile, tant l’atmosphère de Manderley est pesante, oppressante, jusque dans son luxe et les fous qui se promènent sur sa plage. Insidieusement, si la figure de Rebecca reste très forte, les endroits qu’elle a aimé, notamment la maison sur la plage, sont peu à peu corrompus, par l’humidité, la moisissure, la poussière, les rats. Le malaise est partout palpable, et pourtant il est impossible d’échapper à Manderley, tant le talent de conteuse de Daphné Du Maurier est exceptionnel : la narratrice ne eut échapper au château, et le lecteur ne peut abandonner l’ouvrage.
D’une certaine façon, ce roman intense m’a rappelé Jane Eyre, par un effet de miroir. En effet, si les deux héroïnes se révèlent par les drames, la narratrice de Rebecca commence par épouser son mystérieux aristocrate sans être sûre de ses sentiments, alors que Jane va errer longtemps alors même qu’elle est sûre de l’amour de Rochester ; l’épouse de Rochester, qu’on croyait morte, se rappelle aux vivants en incendiant le château, alors que Rebecca, pourtant noyée dans les flots, n’a jamais autant resserré son emprise que depuis sa mort.
Rebecca est une très belle histoire d’amour aussi, sans niaiserie, ni guimauve, tragique sans sombrer dans le mélo. Et encore une fois, Daphné Du Maurier est reine dans la description des tensions psychologiques, rendant l’angoisse palpable.
Un très bon roman, qui n’avait pas mérité de traîner ainsi dans ma PAL depuis deux ans.
D’autant qu’il ne me reste plus qu’à voir le film tiré de l’ouvrage. Un certain Alfred Hitchcock est à la réalisation. Ce nom dit quelque chose à quelqu’un ?
Mademoiselle Potiron
Rebecca, par Daphné Du Maurier, Livre de Poche, 6 euros
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