Chers Amis du Potager,
Libby Day, alors qu’elle n’était qu’une petite fille, a vu sa mère et ses deux sœurs massacrées par une froide nuit de janvier. Le tueur ? Libby en a attesté au tribunal, c’est son grand frère, Ben. Récupérée par sa tante Diane, Libby, enfant asociale et pas aimable, a bénéficié de l’élan de générosité propre à ce type de drame : une collecte à travers tout le pays pour la pauvre petite orpheline Day.
Seulement voilà. Ce confortable pécule, dont la source s’est tarie aussitôt que d’autres gamines se sont trouvées dans sa situation, s’est lui-même effiloché au fil des ans. Aujourd’hui, Libby n’a presque plus un rond. Aussi quand une association underground de fans de serials killers et autres tueurs fous la contacte pour recueillir ses souvenirs, en contrepartie d’espèces sonnantes et trébuchantes, elle profite de l’occasion. Sans enthousiasme.
Pourtant, l’association qui la contacte à une particularité : ses membres, pour la plupart des femmes, sont convaincus de l’innocence de Ben. A laquelle Libby ne croit absolument pas. Elle n’a d’ailleurs jamais revu son frère depuis le procès, et s’en porte aussi bien comme ça.
Mais pour toucher l’argent, il va falloir remonter le fil de l’enquête, rencontrer Ben et d’autres fantômes du passé. En clair, aller fouiner dans les lieux sombres de sa mémoire.
C’est une étrange histoire, que Gillian Flynn nous conte ici (son « Sur ma peau » était déjà une merveille). Libby progresse dans son passé, à reculons et à contrecœur, découvre une réalité qu’elle percevait déjà enfant, mais qui prend tout son sens à l’écoute des témoins et des souvenirs qui resurgissent, attisant sa colère.
Le récit a en outre l’avantage d’être polyphonique. Les chapitres alternent, chacun centré sur un personnage.
Car à l’histoire de Libby, aujourd’hui, s’ajoute la chronique, quasi minute par minute de la fameuse journée ayant abouti aux meurtres, vues par les deux personnages principaux : Ben, quinze ans à l’époque, ado mal dans sa peau, écorché vif, incompris, humilié, s’entourant d’amis peu fréquentables, qui voit les problèmes s’amonceler sur sa personne, et la mère, Patty, abandonnée par un mari violent et alcoolique, ruinée, dépassée par sa progéniture, mais qui tente tant bien que mal de maintenir debout les quatre murs de sa ferme paumée au milieu d’un Middle West sans avenir.
Et l’on assiste, impuissants, à la mise en place inéluctable de la catastrophe, à chaque minute de cette journée, qui avait mal commencé, et qui s’est terminée dans le drame.
Très vite, les pistes sont multiples, les suspectes pléthores, et, comme on n’est pas à Bisouville, Ben en fait naturellement partie. On découvre une Amérique rongée par la crise, l’alcool et les drogues, hypocrite, violente, malsaine, où le fric est roi tant qu’on en a. Jusqu’à Libby qui n’a rien d’une pauvre petite chose fragile, parce qu’elle est menteuse, voleuse, paresseuse, cupide. Et qu’un passé traumatique n’excuse pas tout (passé traumatique qui est la marque de fabrique des héroïnes de Gillian Flynn, Camille, de « Sur ma peau », se scarifiant régulièrement, d’où le titre et la superbe couverture au Livre de Poche).
Et parce qu’une atmosphère aussi plombée aurait pu paraître indigeste, au-delà de la qualité de la trame narrative, le style corrosif, l’humour noir allègent l’ensemble pour en faire un roman palpitant.
Gillian Flynn est décidément bien une valeur sûre du nouveau roman noir américain.
Mademoiselle Potiron
Les Lieux Sombres (Dark Places), par Gillian FLYNN, Livre de Poche Policier, 506 pages, 7,50 euros
Mon potiron,
RépondreSupprimerSi je ne m'abuse, ce livre meurt d'envie de découvrir Madrid, sa Puerta del Sol, et d'intégrer quelques semaines une étagère/PAL espagnole...
Tu lui ferais ce petit plaisir?
Grmpff, mon potiron, j'ai eu tout faux dans mes déductions quant à l'identité du coupable. La fin m'a quasiment arraché une larmichette (pour une histoire de massacre presque à la tronçonneuse, faut le faire!).
RépondreSupprimerEt alors, mais que l'ambiance est bien dépeinte! Parfois, j'avais l'impression qu'il ne manquait que l'odeur au livre tellement les decriptions (de la ferme, du squat) étaient criantes de réalisme. Comme quoi quelques adjectifs bien sentis sont plus efficaces que 36 pages de descriptions à rallonge et alambiquées de Proust...
Réflexe professionnel toutefois, la traduction m'a parfois chagrinée un tantinet. Certaines formules sentaient le calque à plein nez. Mais je chipote (c'est mon métier qui veut ça!!).
Ne me reste plus qu'à me plonger dans un autre des ouvrages gentiment prêtés...Vais peut-être tenter les vampires!
Que la force littéraire soit avec toi, dear potiron!