Chers Amis du Potager,
Toujours au titre des trouvailles d’Arnaud, voici un polar qui sort de l’ordinaire, de par sa construction.
Au début des années 50, en Caroline-du-Sud, au cours d’un été écrasant de chaleur mettant en péril les cultures de cette région agricole pauvre, au fond d’une vallée que viendra engloutir le barrage construit par la Carolina Power, Holland Winchester traîne son mal-être de vétéran de la guerre de Corée en semant la zizanie dans les bars locaux, s’attirant la sympathie désabusée du shérif Alexander.
Quinze jours plus tard, la veuve Winchester contacte le shérif pour lui annoncer que Holland a disparu, qu’il a été tué, que le coupable est son voisin, Billy Holcombe. Rien que ça. Le shérif tranquillise la vieille dame (Holland est sans doute en train de cuver dans un coin), mais le temps passe et le fils prodigue ne revient pas.
S’engage alors, pour le shérif, une course au corps (vivant ou mort) et une lutte psychologique avec Billy pour comprendre ce qu’il a pu se passer.
Ron Rash vous dynamite donc d’amblée son récit, puisqu’on sait qui, quand et par qui. On devine le « comment ? » au coup de fusil entendu par Madame Winchester. Demeure le « pourquoi ? » et le « où ? ».
Délaissant les chemins trop fréquentés de l’enquête classique, Ron Rash nous offre alors un récit à 5 voix, dont chacune va apporter sa pierre à l’édifice : celle du shérif, celle de la femme, celle du mari, celle du fils et celle du shérif adjoint. Tout ce dévoile petit à petit, les enjeux, les compromis, les promesses, les mensonges, jusqu’au dénouement.
Plus que les indices, on découvre une vallée pleine d’amour, de haine et de désir, glaciale l’hiver, brûlante l’été, les superstitions d’une population honnête mais qui se méfie d’une veuve intronisée sorcière, que l’on consulte lorsque les cas sont désespérés.
Le charme de l’écriture « brut de pomme » de Ron Rash pallie parfaitement ce qui peut apparaître comme un manque de suspens (on sait déjà presque tout ce qui fait le sel d’un polar classique). En réalité, celui-ci s’est déplacé vers les conséquences du meurtre. Le style est vif, tout en sachant parfaitement laisser transparaître la personnalité des différents narrateurs.
Quant à l’ambiance, elle est tout simplement parfaitement rendue, grâce aux personnages secondaires (très secondaires) qui apportent crédibilité et réalisme au texte. Sans compter la figure tragique de Madame Winchester.
En résumé, c’est un récit polyphonique très dense, très intense, qu’on a bien du mal à lâcher (malgré l’heure tardive, je n’ai pas pu me résoudre à finir les 100 dernières pages le lendemain. Mon anticernes est mon meilleur ami…).
Mademoiselle Potiron
Un pied au paradis, par Ron Rash, Livre de Poche 320 pages, 6,60 euros
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