dimanche 29 janvier 2012

Denis Guedj, Villa des Hommes


Chers Amis du Potager,

Ma chère Mimi ayant décidé de m’initier à la culture mathématique (est-elle mignonne, et optimiste…), elle m’a donc orienté vers un auteur français, Denis Guedj, susceptible de combler mes attentes scientifiques (après Stephen Hawking et une visite au Musée des Arts et Métiers, servir la science est ma joie).

Et comme elle est serviable, elle m’a gentiment envoyé les trois romans de Denis Guedj qui garnissaient jusqu’à présent sa bibliothèque : le Mètre du Monde, la Méridienne et Villa des Hommes.

C’est par ce dernier roman que j’ai donc entamé ma mini-PAL « livres prêtés – à lire promptement » (un promptement tout relatif, Papounet m’a prêté deux polars qui y dorment depuis… pfiou… deux ans ? mais il faut dire que la real-PAL ne cesse de grossir, ça fait concurrence). Bref. Villa des Hommes.

La Villa des Hommes désigne le pavillon… des hommes d’un hôpital psychiatrique (plutôt ambiance maison de repos que psychotiques hurlants) de Prusse-Occidentale. Au printemps 1917, la chambre 14 y est occupée par Hans Singer, mathématicien de génie frappé de sévère dépression. Alors qu’il s’y enferme dans son mutisme, Mathias Dutour, un jeune soldat français traumatisé par la guerre de tranchées, vient occuper le second lit de la chambre. Pourquoi précisément dans la chambre de Herr Singer ? Parce que ce dernier parle parfaitement le français (avec juste ce qu’il faut de barbarisme pour le rendre attachant).

Entre le vieux Singer, qui reprend peu à peu goût à la conversation, et le soldat prostré dans sa douleur, vont naître de curieux entretiens, monologues de Singer d’abord, puis réels échanges. Le point de départ de cet apprivoisement mutuel viendra des mathématiques, science qu’enseigna Hans Singer, et qu’il révolutionna par la découverte des infinis. Comme tous les grands découvreurs qui révolutionnent une matière, inutile de dire que ses travaux n’ont pas toujours reçu un accueil des plus favorables.

Peu à peu attiré dans l’échange par ce thème neutre, Mathias va lui aussi se découvrir.

Je n’en dis pas plus. Il faut lire ce livre, très beau et très émouvant.

Pourtant, ce n’était pas gagné d’avance : des maths et des névrosés… Charmant cocktail. Mais, en réalité, il s’agit d’un récit très élégant, très poétique (même si je ne me suis pas trop penchée sur le style de Denis Guedj, la musicalité de ses phrases suffisant à mon bonheur), d’une transmission, d’une amitié pudique qui ne dit pas son nom, d’une renaissance. On s’attend à une relation de maître à disciple, on constate qu’elle est plus égalitaire qu’on ne le pensait. Les deux protagonistes ont de vraies personnalités, et leur présence physique est palpable dans tout le roman.

Lequel prend une dimension particulière, celle d’un hommage à Georg Cantor, grand mathématicien allemand, dont seul le nom a été changé en Hans Singer pour les besoin de la cause (d’ailleurs, Singer et Cantor ne sont qu’un seul et même nom). Et c’est avec beaucoup de sensibilité (sans sensiblerie) que Denis Guedj nous conte les derniers mois de sa vie, avec respect, humour et tendresse.

Décidément, les maths me charment. Qui l’eût cru ? Merci, Mimi !

Mademoiselle Potiron

Villa des Hommes, par Denis GUEDJ, Points 313 pages, 7 euros

1 commentaire:

  1. Mille mercis d’avoir bien voulu laisser sa chance à ce livre au sujet quelque peu « curieux » et si peu attractif à l’heure où le temps est une denrée rare et chère ; où on préfère ne pas être surpris qu’être déçu. Je constate que tu as une confiance quasi sans borne dans mes suggestions « scientifico-littéraires ».

    Un commentaire donc pour récompenser cet effort.

    J’ai découvert Denis Guedj dans mes années lycée. A l’époque, il sortait le « célèbre » « Théorème du perroquet » (en 1998). C’est à peu de chose près ce qu’est aux maths le « Monde de Sophie » à la philo (pour ceux qui ne connaissent pas ou ne se rappellent plus, un « roman – enquête » qui vous balade à travers les grandes lignes historiques de l’évolutions des principes mathématiques sur fond de « résolution » du non moins célèbre grand théorème de Fermat, sauf qu’à l’époque, il n’était pas prouvé et qu’à présent, il serait difficile d’en exposer la solution sans nœuds au cerveau). Bref, je suis sortie de cette lecture plus frustrée que réjouie. Là-dessus passent quelques années et me revoilà avec un de ces livres à la main : « la méridienne », et pour faire simple, j’ai lu depuis grosso-modo tous ses livres (il y en a de plus ou moins bons). Malheureusement, ce conteur d’histoires mathématiques et essayiste est mort en 2010 et « Villa des hommes » est son dernier roman.

    J’ai adoré ce livre ! Parce que l’auteur aborde un sujet mathématique difficile : la théorie des ensembles (à l’origine des « maths modernes » de nos parents, concept toujours abordé avec une grimace - vous voyez ce que je veux dire - même si on ne se rappelle plus de quoi il s’agit, reste uniquement un souvenir désagréable …) et que c’est courageux, et qu’il le fait intelligemment à travers son « découvreur ». Non seulement, le garçon est un personnage attachant et pédagogue (ce qui n’est pas toujours le cas de nos chers profs de maths) mais en plus il présente ses travaux de façon détaché, avec amour mais également avec recul et objectivité. Et là, c’est bien l’auteur qu’on entend à travers les discussions d’Hans Singer et de Mathias Dutour (c’est sans doute un de ses roman les plus personnels) parce que personne ne dirait « j’ai bien travaillé, ouvert un nouvelle voie, d’autres, innombrables la suivront, mais de moi, qui se souviendra, je mangerai depuis longtemps les pissenlits par la racine » - ce qui est pourtant la vérité (même quelques mois avant de mourir, mais c’est qu’il est malin l’auteur …). Cette clairvoyance rend au personnage d’Hans Singer, alias Georg Cantor, toute son humanité mais agit aussi comme un résonateur à son géni dans l’esprit du lecteur. Denis Guedj rend donc à César, ce qui appartient à César, parce que les grands noms de la science ne sont pas tous de Galilée, Lavoisier, Fermat, Pascal, Einstein, Fermat et autres, personnes entrées dans l’Histoire. Pour la plupart, ne reste que leur noms associés à des théorèmes, des constantes, des formules, voire rien du tout.

    Je suis ravie d’avoir pu te faire découvrir cet ouvrage et que tu aies passé un bon moment (d’après ton commentaire). Il ne me reste donc plus qu’à trouver de nouveaux défis …

    The famous « Mimi »

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