samedi 3 novembre 2012

François Cheng, l'écriture poétique chinoise


Chers Amis du Potager, 

(pas de photo de couv', sorry).

Pour changer un peu de ma passion japonesque (ahem), voici un ouvrage consacré à cet autre grand pays asiatique qu’est la Chine. Il ne s’agit pas d’y voir un regain d’intérêt après l’attribution du Nobel de littérature à Mo Yan, mais simplement le fait que le livre en question, de petite taille, rentrait facilement dans mon sac à main. Féminitude, quand tu nous tiens (re-ahem). Et puis c’est aussi une façon de rendre hommage à Alex, actuellement perdu dans les frimas pékinois.

Or donc, de quoi qu’on cause ?

De l’Ecriture poétique chinoise, suivie d’une Anthologie des poèmes des Tang, par l’éminent sinologue qu’est l’immortel François Cheng. Pour ceux qui ne seraient pas des spécialistes de la culture de l’Empire du Milieu (et qui lui préféreraient, par exemple, la Terre du Milieu, non, non, ne riez pas, j’en connais), la dynastie Tang est la treizième à avoir régné sur ces vastes contrées, de 618 à 907.

Sous sa domination, les lettrés chinois élaborent des règles extrêmement précises de composition poétique (même si on a en réalité l’étrange impression que ces règles se sont auto-générées), qui tranchent avec la liberté stylistique des poèmes plus archaïques, règles qui resteront en application jusqu’au début du XXe siècle (en parallèle avec les formes archaïques qui ont subsisté, quoiqu’apparemment plus à la marge).

François Cheng a donc le mérite de développer ces règles, tout en les replaçant dans leur contexte culturel, sémiologique, cosmogonique. L’art poétique chinois est en effet un tout, inséparable de la structure de l’écriture (idéogramme), de la calligraphie, de la phonétique (une syllabe par idéogramme, d’où des homophonies propices à jeux de mots, voire à calembours), de l’harmonie du vide et du plein, du yin et du yang, de la conception extrême-orientale de la musique, de la peinture.

Et il a d’autant plus de mérite qu’il parvient à les présenter avec élégance et pédagogie, mais sans simplisme, pour en aborder toute la complexité sans déstabiliser les esprits occidentaux qui ne seraient pas familiers de la culture chinoise. Extraits de poèmes et schémas clarifient, s’il en était besoin, le propos.

Et que ces règles sont nombreuses. Pour n’en citer que quelques-unes, on peut évoquer le nombre de syllabes (qui ne sont pas sans rappeler les haiku japonais), le parallélisme des vers, les tonalités des mots entourant l’hémistiche, la nécessité de laisser sa place au vide, en faisant disparaître nombres d’éléments syntaxiques.

Malgré toutes ces contraintes, on pourrait craindre une poésie très artificielle, pompeuse, empesée.  Il n’en est rien. Notamment parce que la disparition des pronoms, adverbes temporels ou spatiaux, aboutit à une épure qui ouvre la porte à plusieurs interprétations, selon la sensibilité du lecteur. Ciel, terre et homme se confondent, se mêlent en un tout pour disparaître dans le rien. L’art d’associer les métaphores permet d’éviter l’écueil du cliché, et la nécessité de la concision oblige aux trouvailles. On découvre également que la langue chinoise permet la réalisation de poèmes-palindromes, ou de poèmes-labyrinthes, surprenants et astucieux.

L’anthologie de poèmes, proposés dans une translittération et dans une traduction interprétée, complète parfaitement l’étude académique, et l’illustre d’exemples de qualités, fruit du génie des plus grands poètes de l’époque Tang.

Un ouvrage très intéressant donc, qui présente le grand avantage de se lire d’une traite et de laisser le délicieux souvenir d’avoir passé le temps avec intelligence. Ce qui n’est pas si courant.

Mademoiselle Potiron

L’Ecriture poétique chinoise, suivie d’une Anthologie des poèmes des Tang, par François CHENG, Points Essais, 285 pages, 9,10 euros

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