Chers Amis du Potager,
(pas de photo de couv', sorry).
Pour changer un peu de ma passion japonesque (ahem), voici un ouvrage
consacré à cet autre grand pays asiatique qu’est la Chine. Il ne s’agit pas d’y
voir un regain d’intérêt après l’attribution du Nobel de littérature à Mo Yan,
mais simplement le fait que le livre en question, de petite taille, rentrait facilement
dans mon sac à main. Féminitude, quand tu nous tiens (re-ahem). Et puis c’est
aussi une façon de rendre hommage à Alex, actuellement perdu dans les frimas
pékinois.
Or donc, de quoi qu’on cause ?
De l’Ecriture poétique chinoise, suivie d’une Anthologie des
poèmes des Tang, par l’éminent sinologue qu’est l’immortel François Cheng.
Pour ceux qui ne seraient pas des spécialistes de la culture de l’Empire du
Milieu (et qui lui préféreraient, par exemple, la Terre du Milieu, non, non, ne
riez pas, j’en connais), la dynastie Tang est la treizième à avoir régné sur
ces vastes contrées, de 618 à 907.
Sous sa domination, les lettrés chinois élaborent des règles
extrêmement précises de composition poétique (même si on a en réalité l’étrange
impression que ces règles se sont auto-générées), qui tranchent avec la liberté
stylistique des poèmes plus archaïques, règles qui resteront en application
jusqu’au début du XXe siècle (en parallèle avec les formes archaïques qui ont
subsisté, quoiqu’apparemment plus à la marge).
François Cheng a donc le mérite de développer ces règles, tout en les
replaçant dans leur contexte culturel, sémiologique, cosmogonique. L’art
poétique chinois est en effet un tout, inséparable de la structure de
l’écriture (idéogramme), de la calligraphie, de la phonétique (une syllabe par
idéogramme, d’où des homophonies propices à jeux de mots, voire à calembours),
de l’harmonie du vide et du plein, du yin et du yang, de la conception
extrême-orientale de la musique, de la peinture.
Et il a d’autant plus de mérite qu’il parvient à les présenter avec
élégance et pédagogie, mais sans simplisme, pour en aborder toute la complexité
sans déstabiliser les esprits occidentaux qui ne seraient pas familiers de la
culture chinoise. Extraits de poèmes et schémas clarifient, s’il en était
besoin, le propos.
Et que ces règles sont nombreuses. Pour n’en citer que quelques-unes,
on peut évoquer le nombre de syllabes (qui ne sont pas sans rappeler les haiku
japonais), le parallélisme des vers, les tonalités des mots entourant
l’hémistiche, la nécessité de laisser sa place au vide, en faisant disparaître
nombres d’éléments syntaxiques.
Malgré toutes ces contraintes, on pourrait craindre une poésie très
artificielle, pompeuse, empesée. Il n’en
est rien. Notamment parce que la disparition des pronoms, adverbes temporels ou
spatiaux, aboutit à une épure qui ouvre la porte à plusieurs interprétations,
selon la sensibilité du lecteur. Ciel, terre et homme se confondent, se mêlent
en un tout pour disparaître dans le rien. L’art d’associer les métaphores
permet d’éviter l’écueil du cliché, et la nécessité de la concision oblige aux
trouvailles. On découvre également que la langue chinoise permet la réalisation
de poèmes-palindromes, ou de poèmes-labyrinthes, surprenants
et astucieux.
L’anthologie de poèmes, proposés dans une translittération et dans une
traduction interprétée, complète parfaitement l’étude académique, et l’illustre
d’exemples de qualités, fruit du génie des plus grands poètes de l’époque Tang.
Un ouvrage très intéressant donc, qui présente le grand avantage de se
lire d’une traite et de laisser le délicieux souvenir d’avoir passé le temps
avec intelligence. Ce qui n’est pas si courant.
Mademoiselle Potiron
L’Ecriture poétique chinoise,
suivie d’une Anthologie des poèmes des Tang, par François CHENG, Points Essais,
285 pages, 9,10 euros
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