Sur une suggestion chaleureuse de Francis, j’ai entamé la lecture de
ce roman de Donald Ray Pollock, dont je ne savais rien. Francis a en effet été
discret sur le sujet, se contentant de me décrire un contexte (Etats-Unis,
après-guerre, campagne pouilleuse et religieux allumés).
Le résumé cadrait parfaitement avec l’histoire, ou plutôt les
histoires, puisqu’en réalité, ce sont trois récits qui s’entrecroisent tout au
long de ces 370 pages denses.
Tout d’abord, le jeune Arvin, qui vit dans l’Ohio avec sa mère
agonisante et son père devenu fou à forcer de prier dieu pour qu’il la guérisse
de son cancer multi-métastasé (je rappelle que nous sommes dans les années 50,
et que si prier Dieu avait dû suffire pour guérir d’un cancer dépisté alors que
la patiente saigne déjà genre la rage et que ses os se brisent tous seuls à
force de tumeurs, ben, ça se saurait).
On découvre ensuite Roy et Theodore, prédicateurs franchement
illuminés, qui débarquent dans une église de Virginie-Occidentale fréquentée
par la grand-mère paternelle d’Arvin. Pour vous donner une idée de l’état de
dinguerie de ces deux cocos, l’un est en fauteuil roulant pour avoir avaler un
grand verre de strychnine, en étant persuadé que dieu lui rendrait ses jambes à
grands coups d’alléluias, et l’autre est convaincu qu’il peut ressusciter les
morts, quand il ne se renverse pas sur la tête une amphore pleine d’araignées
(dont il a la phobie) au prétexte que dieu lui a permis d’affronter ses peurs
(mais pas celles des ouailles du premier rang qui décanillent en vitesse à la
seule vue des velues auxiliaires du seigneur). Amen.
Le troisième récit est celui de Carl et de sa femme Sandy, la sœur du
shérif du bled dans lequel vivent Arvin et ses parents, couple improbable
alliant une grande maigre qui se veut sexy et d’un petit gros à l’hygiène
douteuse passionné de photographie. Le sujet des photos ? Bah, rien de
bien sensationnel. Juste les jeunes auto-stoppeurs qu’ils ont zigouillés.
Au temps pour le rêve américain.
C’est un récit très prenant, où ses différentes histoires vont
s’entremêler. Tout y est dur, cruel, cynique. Mais la dénonciation par Donald
Ray Pollock du fanatisme religieux dans ce qu’il a de plus répugnant est
réjouissante. L’hypocrisie des prédicateurs est également bien mise en valeur.
On découvre un monde où tous sont pourris jusqu’à la moëlle, soit par
une certaine perversité naturelle, soit par le jeu des circonstances. Sandy est
une pauvre fille, qui aurait gagné à avoir un autre frère que l’abruti de
shérif, et à épouser un autre type que Carl, homosexuel refoulé et pathétique.
Même Arvin n’est pas un personnage positif, malgré sa jeunesse.
Pourtant, c’est à lui qu’on s’attache, parce que le récit s’ouvre sur sa petite
figure penchée sur un arbre à prière, et qu’il s’achève sur sa dernière
aventure. Et qu’il fait un peu figure d’ange exterminateur, dans ce pandémonium
de frappadingues.
Pourtant, Pollock les laisse vivre (et mourir) sans les juger, en
observateur caustique mais d’une impartialité de documentariste animalier qui,
sans le savoir, applique constamment la directive première de Starfleet.
Au final, un bon roman sur la solitude, la mort et la violence. Qui
réussit le tour de force de ne pas être macabre à grands renforts d’une ironie
grinçante.
Mademoiselle Potiron
Le Diable, tout le temps (the
Devil all time), par Donald Ray POLLOCK, Albin Michel 370 pages, 22,30 euros
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