Il y a quelques semaines, je vous avais parlé du Convoi de l'eau,
admirable roman d’Akira Yoshimura, chaudement recommandé par Francis, le
Bernard Pivot de Quai des Brumes. Au détour d’une conversation, il m’avait dit
avoir encore préféré du romancier japonais Naufrages, également publié
par Babel.
Isaku est un jeune garçon vivant dans un village isolé de la côte
japonaise (le premier village voisin est à 3 bons jours de marche). La
communauté est pauvre, subsistant du produit de la pêche, de la récolte des
algues et de quelques cultures légumières. Les vêtements sont confectionnés à
partir de ramie, plante que les femmes filent au cours de l’hiver. La pauvreté
est telle que, régulièrement, certains des habitants, les plus vaillants, se
vendent à l’intérieur des terres, pour une durée plus ou moins longue. C’est ce
qu’a fait le père d’Isaku, parti au printemps pour trois ans.
Au moment où commence le récit, Isaku se débat avec les difficultés de
la pêche, qu’il doit assumer seul. Sa mère, à la main leste, fait peser sur lui
des responsabilités d’adulte, qu’Isaku prend très à cœur, conscient des
dernières paroles de son père qui désirait que les enfants ne meurent pas de
faim.
Invité à participer activement à des obsèques, Isaku entre à l’automne
dans le cercle des adultes. A ce titre, il est chargé de surveiller de nuit les
feux brûlants sous les marmites où l’on fait évaporer l’eau de mer pour en
récolter le sel. Epreuve initiatique pour le garçon, qui est mis au fait de ces
incendies nocturnes : dérouter les navires chargés de riz en perdition
dans les tempêtes.
Au fil des saisons (le rougissement des feuilles, la première neige,
les avalanches de printemps, la période des maquereaux), Yoshimura nous conte
l’histoire de ces trois années d’absence paternelle, rythmée par les
différentes activités de la communauté, les naissances et les décès, les
rituels destinés à apporter une bonne pêche ou de bons naufrages. Parce que
l’échouage de ces bateaux est une manne qui apporterait la prospérité aux
habitants pour plusieurs années, tandis que son absence les contraindrait à se
louer ailleurs.
Il y a une beauté assez cruelle à observer cette communauté suspendue
aux caprices des flots, espérant le désastre pour survivre, craignant les
enquêtes des fonctionnaires, livrée aux aléas de la nature. Comme dans le
Convoi de l’eau, l’isolement compose le fond du décor, la mort et la misère
rôdent. Le pathos est pourtant absent de ce quotidien âpre, où les
circonstances génèrent la violence des comportements. Des mouvements de
tendresse sont toutefois perceptibles, dans l’amour maladroit qu’Isaku voue à
la jeune Tami.
Je ne vous dirai pas s’il s’agira d’années de vaches maigres, ou si le
sort sera favorable à notre village. Sachez seulement que le destin est parfois
capricieux, et que ce serait dommage de passer à côté de ce roman fort et
poétique.
Mademoiselle Potiron
Naufrages (Hasen – 1982 – traduit
par Rose-Marie Makino), par Akira YOSHIMURA, Babel, 192 pages, 7,70 euros
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