samedi 27 octobre 2012

Pot-pourri... #1


Chers Amis du Potager,

Parce que, soyons réalistes, jamais ne pourrai combler mon retard dans l’écriture des billets, voici la liste des ouvrages lus, auxquels je renonce à consacrer un post individuel :

Le Compagnon de voyage, de Curzio Malaparte : une courte nouvelle, très belle histoire d’un soldat pris dans la débâcle de l’armée italienne à la fin de la seconde guerre mondiale, chargé par son lieutenant à l’agonie de rapporter son corps à sa vieille mère napolitaine. A la fois roman picaresque, critique sociale et portrait émouvant d’un homme bon. A noter que la chute est cyniquement plaisante. Puissant. Quai Voltaire, 107 pages, 14€.
 
 
Le Maître et Marguerite, de Mikhaïl Boulgakov : un chef d’œuvre (et un pavé) dévoré en deux jours, tant l’écriture de Boulgakov est envoutante, ses personnages saisissants d’humour et d’amour, tant la loufoquerie (qui rappelle les Contes d’Hoffmann) et la gravité s’entremêlent avec naturel. En prime, une magnifique histoire d’amour, pas niaise pour deux sous, qui revisite avec intelligence le mythe de Faust. Magistral. Robert Laffont, Pavillons Poche, 640 pages, 8€.


Gioconda, de Nikos Kokantzis : une nouvelle qui décrit l’amour adolescent entre un jeune grec et sa voisine, la Juive Gioconda, au cours de la seconde guerre mondiale. C’est sensuel, émouvant, solaire. L’Aube, 124 pages, 6,80€.
 

La Légende de Gösta Berling, de Selma Lagerlöf : comme d’habitude, la langue enchanteresse de la grande conteuse du nord agit puissamment sur ce récit où le diable et les malédictions se mêlent à une prospère communauté. Gösta Berling est un prêtre défroqué, coureur et impertinent, à qui il va arriver bien des aventures. Addictif. Stock la Cosmopolite, 371 pages, 10.90€.

 

Par-dessus bord, de Kenneth Cook : plus grinçant que la trilogie du koala tueur, ce roman plus ancien de l’auteur australien nous conte le rêve désespérée d’un petit pêcheur de se lancer dans l’hyper rentable pêche au thon. Lorsqu’il tente de sauver un pêcheur italien de la noyade, le destin se met enfin en marche. Caustique. Livre de Poche, 214 pages, 6,10€.
 


Piège nuptial, de Douglas Kennedy : toujours l’Australie, dans l’outback cette fois. Le narrateur se fait gentiment piégé par une blonde à fort appétit sexuel, qui l’épouse sans lui demander son reste. Avant de le présenter à sa famille de rustauds. Et c’est là que les choses se gâtent pour notre Roméo à kangourou. Drôle et sanglant à la fois. Pocket 251 pages, 6.70€.

 

Le Brave soldat Chveïk, de Jaroslav Hašek : Chvéïk est un modeste trafiquant de chiens, mais patriote. Aussi, quand l’archiduc François-Ferdinand est assassiné à Sarajevo, notre héros va avoir l’occasion de prouver son amour de l’empire austro-hongrois. Avec plus ou moins de succès, car dans le monde de Chvéïk, les soldats ont l’esprit mal tourné et les policiers voient le mal partout. Jubilatoire. Folio, 364 pages, 7.50€.


Nous autres, d’Evgueni Zamiatine : dans ce roman d’anticipation fondateur du genre contre-utopique (il inspirera le Meilleur des Mondes et 1984), la population, consentante, se soumet à un rythme de vie dicté par le chef suprême, qui contrôle tout, du travail à la nourriture, en passant par le sexe. Mais D-503, sous l’impulsion d’une belle femme, sent le grondement de la révolte monter en lui. Critique à peine voilée du totalitarisme soviétique, censuré par Staline, cette brillante fable oscillant entre abrutissement collectif et liberté individuelle entraîna l’exil de son auteur. Culte. Gallimard Imaginaire, 220 pages, 8.60€.

Les Boutiques de Cannelle, de Bruno Schulz : le nouvelliste polonais magnifie le récit autobiographique par l’apport d’un onirisme, qui transcende le quotidien pour l’emporter vers le conte fantastique. Le père devient un oiseau, les jeunes garçons viennent voler des baisers aux jeunes filles accoudées aux balcons, les tissus éparpillés dans la boutique prennent vie pour composer des paysages. Au-delà des récits transfigurés, une écriture remarquable, délicate, élégante et infiniment poétique. Gallimard Imaginaire, 205 pages, 10.15€.
 
Requins d’eau douce, de Heinrich Steinfest : où comment un inspecteur ronchon, mélomane et fan de Wittgenstein, aux habitudes de vieux garçon, se retrouve à enquêter sur la mort d’un homme retrouvé dévoré par un requin dans une piscine située sur un toit viennois. Le whodunit est assez vite résolu, mais c’est plaisant, et le mystère du requin tient en haleine. Sympathique. Folio Policier, 420 pages.

Mademoiselle Potiron

Akira Yoshimura, Naufrages


Chers Amis du Potager,

Il y a quelques semaines, je vous avais parlé du Convoi de l'eau, admirable roman d’Akira Yoshimura, chaudement recommandé par Francis, le Bernard Pivot de Quai des Brumes. Au détour d’une conversation, il m’avait dit avoir encore préféré du romancier japonais Naufrages, également publié par Babel.

Isaku est un jeune garçon vivant dans un village isolé de la côte japonaise (le premier village voisin est à 3 bons jours de marche). La communauté est pauvre, subsistant du produit de la pêche, de la récolte des algues et de quelques cultures légumières. Les vêtements sont confectionnés à partir de ramie, plante que les femmes filent au cours de l’hiver. La pauvreté est telle que, régulièrement, certains des habitants, les plus vaillants, se vendent à l’intérieur des terres, pour une durée plus ou moins longue. C’est ce qu’a fait le père d’Isaku, parti au printemps pour trois ans.

Au moment où commence le récit, Isaku se débat avec les difficultés de la pêche, qu’il doit assumer seul. Sa mère, à la main leste, fait peser sur lui des responsabilités d’adulte, qu’Isaku prend très à cœur, conscient des dernières paroles de son père qui désirait que les enfants ne meurent pas de faim.

Invité à participer activement à des obsèques, Isaku entre à l’automne dans le cercle des adultes. A ce titre, il est chargé de surveiller de nuit les feux brûlants sous les marmites où l’on fait évaporer l’eau de mer pour en récolter le sel. Epreuve initiatique pour le garçon, qui est mis au fait de ces incendies nocturnes : dérouter les navires chargés de riz en perdition dans les tempêtes.

Au fil des saisons (le rougissement des feuilles, la première neige, les avalanches de printemps, la période des maquereaux), Yoshimura nous conte l’histoire de ces trois années d’absence paternelle, rythmée par les différentes activités de la communauté, les naissances et les décès, les rituels destinés à apporter une bonne pêche ou de bons naufrages. Parce que l’échouage de ces bateaux est une manne qui apporterait la prospérité aux habitants pour plusieurs années, tandis que son absence les contraindrait à se louer ailleurs.

Il y a une beauté assez cruelle à observer cette communauté suspendue aux caprices des flots, espérant le désastre pour survivre, craignant les enquêtes des fonctionnaires, livrée aux aléas de la nature. Comme dans le Convoi de l’eau, l’isolement compose le fond du décor, la mort et la misère rôdent. Le pathos est pourtant absent de ce quotidien âpre, où les circonstances génèrent la violence des comportements. Des mouvements de tendresse sont toutefois perceptibles, dans l’amour maladroit qu’Isaku voue à la jeune Tami.

Je ne vous dirai pas s’il s’agira d’années de vaches maigres, ou si le sort sera favorable à notre village. Sachez seulement que le destin est parfois capricieux, et que ce serait dommage de passer à côté de ce roman fort et poétique.

Mademoiselle Potiron

Naufrages (Hasen – 1982 – traduit par Rose-Marie Makino), par Akira YOSHIMURA, Babel, 192 pages, 7,70 euros

PS : pour les amateurs, la librairie Quai des Brumes a maintenant son site internet bien à elle. Outre les événements programmés à la librairie, la partie « blog » vous permettra de vous tenir au jus des découvertes des libraires.

Donald Ray Pollock, Le Diable tout le temps


Chers Amis du Potager,

Sur une suggestion chaleureuse de Francis, j’ai entamé la lecture de ce roman de Donald Ray Pollock, dont je ne savais rien. Francis a en effet été discret sur le sujet, se contentant de me décrire un contexte (Etats-Unis, après-guerre, campagne pouilleuse et religieux allumés).

Le résumé cadrait parfaitement avec l’histoire, ou plutôt les histoires, puisqu’en réalité, ce sont trois récits qui s’entrecroisent tout au long de ces 370 pages denses.

Tout d’abord, le jeune Arvin, qui vit dans l’Ohio avec sa mère agonisante et son père devenu fou à forcer de prier dieu pour qu’il la guérisse de son cancer multi-métastasé (je rappelle que nous sommes dans les années 50, et que si prier Dieu avait dû suffire pour guérir d’un cancer dépisté alors que la patiente saigne déjà genre la rage et que ses os se brisent tous seuls à force de tumeurs, ben, ça se saurait).

On découvre ensuite Roy et Theodore, prédicateurs franchement illuminés, qui débarquent dans une église de Virginie-Occidentale fréquentée par la grand-mère paternelle d’Arvin. Pour vous donner une idée de l’état de dinguerie de ces deux cocos, l’un est en fauteuil roulant pour avoir avaler un grand verre de strychnine, en étant persuadé que dieu lui rendrait ses jambes à grands coups d’alléluias, et l’autre est convaincu qu’il peut ressusciter les morts, quand il ne se renverse pas sur la tête une amphore pleine d’araignées (dont il a la phobie) au prétexte que dieu lui a permis d’affronter ses peurs (mais pas celles des ouailles du premier rang qui décanillent en vitesse à la seule vue des velues auxiliaires du seigneur). Amen.

Le troisième récit est celui de Carl et de sa femme Sandy, la sœur du shérif du bled dans lequel vivent Arvin et ses parents, couple improbable alliant une grande maigre qui se veut sexy et d’un petit gros à l’hygiène douteuse passionné de photographie. Le sujet des photos ? Bah, rien de bien sensationnel. Juste les jeunes auto-stoppeurs qu’ils ont zigouillés.

Au temps pour le rêve américain.

C’est un récit très prenant, où ses différentes histoires vont s’entremêler. Tout y est dur, cruel, cynique. Mais la dénonciation par Donald Ray Pollock du fanatisme religieux dans ce qu’il a de plus répugnant est réjouissante. L’hypocrisie des prédicateurs est également bien mise en valeur.

On découvre un monde où tous sont pourris jusqu’à la moëlle, soit par une certaine perversité naturelle, soit par le jeu des circonstances. Sandy est une pauvre fille, qui aurait gagné à avoir un autre frère que l’abruti de shérif, et à épouser un autre type que Carl, homosexuel refoulé et pathétique.

Même Arvin n’est pas un personnage positif, malgré sa jeunesse. Pourtant, c’est à lui qu’on s’attache, parce que le récit s’ouvre sur sa petite figure penchée sur un arbre à prière, et qu’il s’achève sur sa dernière aventure. Et qu’il fait un peu figure d’ange exterminateur, dans ce pandémonium de frappadingues.

Pourtant, Pollock les laisse vivre (et mourir) sans les juger, en observateur caustique mais d’une impartialité de documentariste animalier qui, sans le savoir, applique constamment la directive première de Starfleet.

Au final, un bon roman sur la solitude, la mort et la violence. Qui réussit le tour de force de ne pas être macabre à grands renforts d’une ironie grinçante.

Mademoiselle Potiron

Le Diable, tout le temps (the Devil all time), par Donald Ray POLLOCK, Albin Michel 370 pages, 22,30 euros

Stefan Zweig, Marie Stuart


Chers Amis du Potager,

Que ce fut difficile de venir à bout de cette biographie, pourtant réputée, d’un auteur pour qui j’ai beaucoup d’affection, sur une personne qui ne m’inspire pas, de prime abord, de révulsion particulière.

Je pense sincèrement (j’espère) que la traduction a joué (même si la collection des Cahiers Rouges, de Grasset, nous a habitués à des traductions de qualité), mais le style ampoulé au possible, surtout en milieu d’ouvrage, d’une niaiserie grandiloquente rarement égalée, m’a ennuyée au plus haut point.

Je ne reviendrai pas sur l’histoire, s’agissant d’une biographie historique, n’importe quel dictionnaire saura vous renseigner. Sur ce point, l’ouvrage est complet, documenté jusqu’à la moindre anecdote (notamment la touchante fidélité du petit terrier de Marie Stuart réfugié sous ses jupes lors de son exécution, recouvert de son sang et qui défend le cadavre de sa maîtresse).

Cependant, le retour de Marie Stuart en Ecosse après son premier veuvage s’accompagne chez Stefan Zweig d’une envolée romanesque des plus pénibles, à mon sens. Voilà Marie Stuart, pourtant femme intelligente et intrépide, esclave soumise à ses ovaires. L’amour a frappé ! Et il la rend idiote. Ce qui, convenons-en, arrive à tout le monde, même aux meilleurs d’entre nous. Et on peut bien admettre que cette stupidité passagère puisse avoir davantage de conséquences en matière de géopolitique lorsque l’on est reine que lorsque l’on est ravaudeuse de chaussettes.

Pourquoi alors en faire des tartines sur la pââââssion, la révélation à la féminité (une femme n’est pas femme si elle n’est pas amoureuse et prête à tous les sacrifices pour son amoureux) ? Sans compter les commentaires charmants du genre « bon, d’après les portraits, elle avait l’air gentille, mais ce n’était pas un canon, pourquoi tant de soupirants transis ? » (le fait qu’elle ait pu être futée, cultivée, ouverte d’esprit, aimable, généreuse n’a tout à coup plus d’intérêt).

Le fait que l’objet de sa pâââssion soit en outre un coureur au physique ingrat, la terreur de ces dames, cruel et ambitieux, fait gloser. Alors pourtant que c’est parfaitement logique. La plus grande qualité de Marie Stuart, surtout aux yeux des hommes de l’époque, ce n’est pas de réussir le haggis comme personne. C’est d’être reine, de faire de son mec le king of Scotland et de lui rapporter plein de pognon, titres, terres, châteaux, larbins. Sort commun à toute femelle un peu pourvue depuis la nuit des temps.

Bref, pas de quoi épiloguer.

Dans le camp d’en face (les Anglais, of course), Elizabeth en prend aussi pour son grade, avec sa coquetterie et ses éternels atermoiements. Et d’expliquer l’intégralité de sa conduite par le fait qu’elle souffrît d’une malformation la rendant impropre à la procréation. Mouais. Je ne sais pas mais, même si elle avait été enceinte jusqu’aux yeux, j’imagine mal Elizabeth renoncer au pouvoir pour un mioche ou un galant. La maternité ne l’emporte par toujours sur l’ambition. Ou alors c’est moi qui vois le mal partout. Et c’est pour cela que la figure d’Elizabeth, moins romantique peut-être, est bien plus intéressante. Sans doute d’ailleurs que ladite malformation lui aura évité de finir potiche auprès d’un consort fat et tout-puissant.

Fort heureusement pour nous, l’épisode « Barbara Cartland » prend vite fin dans le meurtre, la prison, les batailles, les trahisons, les exécutions, toussa, toussa. De quoi ragaillardir un Potiron, n’est-il pas ? D’autant que cela ouvre des perspectives historiques intéressantes : Marie Stuart a ouvert la voie à la décapitation d’un souverain régnant. Son petit-fils Charles Ier peut d’ailleurs la remercier pour cela. Ou pas.

Mademoiselle Potiron

Marie Stuart (traduction Alzir Hella), par Stefan ZWEIG, Grasset collection les Cahiers Rouges, 413 pages, 11,20 euros