Chers Amis du Potager,
Tout le monde sait que j’ai
l’habitude d’arriver après la bataille, et vous ne vous étonnerez donc pas que
je commente seulement maintenant l’Enquête sur la disparition d’Emilie Brunet,
paru en 2010, encensé par la critique (au point que je l’avais offert à la
Nectarine qui a, je crois, bien aimé).
Mes vaillants et courageux Billy®
n’étant pas des surhommes, j’ai sagement attendu la sortie en poche (que j’ai
ratée) jusqu’à le retrouver dans ma LAL et de me dire « après tout
pourquoi pas ? ».
Il faut dire que l’intrigue de
base, bien classique (la jeune épouse richissime d’un don juan disparaît avec
son amant, le mari est forcément le coupable), est rehaussée par la
personnalité de l’enquêteur, Achille Bonot. Ce dernier souffre en effet
d’amnésie rétrograde, ce qui l’oblige à tenir un journal de son enquête.
Journal que nous avons sous les yeux.
Achille (avec un nom pareil,
hein…) voue une passion sans borne à Agatha Christie (ce n’est pas moi qui vais
le lui reprocher), et surtout à Hercule Poirot, dont les petites cellules
grises ont fait un émule.
Bien, bien, bien.
Le souci, c’est que si l’idée de
base est bonne, son exploitation s’essouffle assez vite, pour se résumer à la
gueguerre psychologique (à fleuret moucheté, nous avons affaire à des gentlemen)
entre Achille et Brunet, le génial cogniticien.
Alors, oui, c’est intéressant,
oui, la disparation d’Emilie peut n’être qu’un alibi littéraire, pourquoi pas,
mais alors il faudrait que ce combat prenne un peu d’ampleur. Parce que
finalement on s’ennuie un peu. L’intérêt ne provient que des réflexions sur le
whodunit christien, l’art d’Hitchcock ou les principes de Van Dine, dont Pierre
Bayard nous avait déjà parlé, et en mieux, dans « Qui a tué Roger
Ackroyd ? », source parfaitement assumée par Antoine Bello. De là à
se demander si la lecture des ouvrages cités dans la bibliographie n’aurait pas été plus
intéressante…
Et puis la culture d’Antoine
Bello est profondément anglo-saxonne. Alors que l’histoire est censée se passer
en France (je ne vois pas les facteurs US faire grève pendant des semaines), la
procédure pénale est profondément law & order-isée. Parce que voir un
accusé français prêter serment, ben, comment dire, ça fait peut-être très
« j’invoque le 5e amendement », mais pas très code de
procédure pénale… Parce que voir un procureur qui lit l’acte d’accusation, ça
va peut-être quand c’est MacCoy, mais pas quand c’est Courroye. Et que voir
l’accusé qui pose lui-même les questions qu’il veut à « son » témoin
de la défense, je crois que cela ferait hurler n’importe quel président de cour
d’assises. Et que tout avocat digne de ce nom s’indignerait contre une garde à
vue décrétée sur la simple idée que Brunet doit être le coupable, sans aucun
indice grave et concordant bla-bla-bla. Et, le pompon des
pompons, que ledit procès d’assises se tienne six semaines après la déclaration
de la disparition d’Emilie, c’est purement irréaliste (même si ça ferait très
plaisir à la Cour Européenne des Droits de l’Homme).
En passant, bien entendu, sur le
fait que Brunet se retrouve aux assises alors qu’il n’y a ni corps, ni indice,
ni témoin, ni le moindre élément, bref, pas un pet de coucou, qui démontre,
premièrement qu’il y a eu un crime et deuxièmement que c’est Brunet qui a tué (pour
autant qu’on sache, Emilie peut très bien être en retraite dans un ashram du
Bouthan).
Bon, à part ça, il faut quand
même reconnaître que l’écriture est plaisante, et que ça se lit bien. Je suis
d’ailleurs bien consciente que mes vitupérations procédurales laisseront de
marbre les non-juristes, qui s’en tamponneront le coquillard. Et qui y
prendront sans doute, du coup, bien plus de plaisir (comme ma Nectarine).
Cela dit, les médecins (surtout Jaddo) devraient trouver
croquignolet que le gynécologue de Monique diagnostique son cancer du sein à l’AUSCULTATION
(c’est un gynécologue à l’ouïe fine, sans doute).
Mademoiselle Potiron
Enquête sur la disparition d’Emilie Brunet, par Antoine BELLO, Folio,
284 pages, 6,50 euros